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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/173

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devin, cet artisan de fraudes, ce charlatan, clairvoyant pour le gain seul, mais aveugle dans son art. Car enfin, dis-moi, où as-tu été bon prophète ? Lorsque le sphinx proposait ici ses énigmes, comment n’as-tu pas donné aux Thébains quelque moyen de s’en délivrer ? cependant il n’appartenait pas au premier venu d’expliquer l’énigme, c’était la tâche du devin ; ni le vol des oiseaux, ni aucun des dieux, ne t’en ont fait pénétrer le sens ; mais moi, mortel ignorant, à peine arrivé dans Thèbes, j’ai confondu le monstre par le seul secours de ma raison, et sans consulter le vol des oiseaux. Aujourd’hui tu travailles à me renverser, dans l’espoir de prendre place auprès du trône de Créon ; mais ce ne sera pas impunément, je pense, que toi et l’auteur de ces intrigues vous prétendez me chasser comme un être impur ; et si je n’excusais ta vieillesse, tu connaîtrais déjà le châtiment que mérite ton délire.

LE CHŒUR.

A notre sens, ses paroles et les tiennes, Œdipe, nous paraissent dictées par la colère. Il faut faire trêve à de pareils débats, nous devons seulement songer aux meilleurs moyens d’accomplir l’oracle du dieu.

TIRÉSIAS.

Bien que tu sois roi, Œdipe, il y a cependant cette égalité entre nous, que je puis te répondre ; car moi aussi j’en ai le droit. Je ne suis pas ton sujet, mais celui d’Apollon ; je n’ai point Créon pour patron, et ne suis pas inscrit au nombre de ses clients[1]. Tu me reproches d’être aveugle ; mais toi, malheureux, toi qui jouis de la lumière, tu ne vois pas en quel abîme de maux tu es tombé, ni où tu habites, ni avec qui tu demeures. Sais-tu qui t’a donné le jour ? Tu ignores ce qui te rend exécrable à tes proches, sur la terre, et à ceux des tiens qui

  1. Une loi d’Athènes voulait que tout Métèque ou étranger domicilié fit choix d’un patron parmi les citoyens, ce qui devait être inscrit sur des registres publics. Voir Hésychius, v° πρόστατυ, et Suidas, aux mots ὰπροστασιου, et νὲμειν προστάτην.