Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/23

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venir un acteur, qui, récitant par intervalles les actions des dieux et des héros, délasserait le Chœur et donnerait à ce spectacle plus de variété. Bientôt ces récits devinrent la partie principale, et le Chœur ne fut plus qu’accessoire ; il s’écarta même de sa première destination, et les louanges de Bacchus furent remplacées par des chants analogues au sujet principal. Eschyle vint, ajouta un second acteur, et abrégea les chants lyriques ; la forme nouvelle qu’il donna au drame le fit appeler le père de la tragédie. Malgré ces heureux changements, l’enfance de l’art se fait encore sentir dans ses pièces ; on y reconnaît la forme de la tragédie primitive : quoiqu’il ait beaucoup abrégé les chants lyriques, ils tiennent encore chez lui trop de place, comme Aristophane le lui a reproché dans les Grenouilles. Quelques-unes de ses pièces ne sont guère que des chants du Chœur, entrecoupés de récits sans action ; par exemple, le Prométhée, les Perses, les Sept Chefs devant Thèbes, commencent et finissent par un chant d’une assez grande étendue. Dans les Suppliantes, le Chœur est le premier personnage ; c’est sur lui que porte tout l’intérêt. Celui des Euménides tient encore un des premiers rangs dans la pièce qui a reçu ce titre.

Sophocle modifia encore la forme de la tragédie grecque, et la porta à sa perfection. Il fit paraître sur la scène un troisième interlocuteur ; et, tout en rattachant toujours le Chœur à l’action, il le réduisit à un rôle secondaire, celui d’un simple spectateur, qui témoigne par ses paroles l’intérêt qu’il prend à l’événement. Cette place, que le Chœur conserve encore dans la tragédie grecque, cette espèce d’intervention populaire, suffirait seule pour marquer un des caractères distinctifs qui la séparent profondément de la tragédie