Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/308

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contre les hommes, et ensuite, puisque nous dépendons de plus puissants que nous, nous sommes destinées à subir ces lois, et de plus dures encore. Pour moi donc, priant les mânes[1] de me pardonner si je cède à la violence, j’obéirai à ceux qui possèdent le pouvoir ; car vouloir faire ce qui passe nos forces, c’est de la démence[2].

ANTIGONE.

Je ne veux point te contraindre ; et si, même à présent, tu voulais partager mes soins, je n’accepterais pas volontiers ton secours. Agis comme il te convient, moi je l’ensevelirai ; il me sera beau de mourir en remplissant ce devoir. Je reposerai, saintement criminelle, auprès d’un frère chéri ; car j’ai à plaire aux dieux des enfers plus longtemps qu’aux hommes sur cette terre. Là, en effet, mon séjour doit être éternel. Toi, si tel est ton sentiment, méprise les ordres respectables des dieux.

ISMÈNE.

Je ne les méprise point, mais je n’ai pas la force de lutter contre la volonté d’une ville entière.

ANTIGONE.

Couvre-toi de ce prétexte ; pour moi, je vais élever une tombe au frère le plus chéri.

ISMÈNE.

Hélas ! infortunée, combien je tremble pour toi !

ANTIGONE.

Ne crains pas pour moi ; songe plutôt à ta sûreté.

ISMÈNE.

Au moins ne révèle ce dessein à personne ; mais tiens-le secret, j’en ferai de même.

ANTIGONE.

Grands dieux ! parle hautement ; tu me seras bien plus odieuse en gardant le silence, et ne proclamant pas mes projets à tous.

  1. « Ceux qui sont sous la terre, » c’est-à-dire, Polynice. Voyez le v. 10.
  2. Ce langage est aussi celui de Chrysothémis dans Électre, v. 400, et dans toute la scène.