Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/330

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point d’hymen que je puisse justement préférer à tes bonnes directions.

CRÉON.

Tels doivent être tes sentiments, mon fils ; tout doit céder à la volonté paternelle. En effet, on ne désire avoir et élever dans sa maison des enfants soumis, que pour qu’ils rendent à l’ennemi de leur père mal pour mal, et qu’ils honorent également ses amis. Celui qui engendre des enfants inutiles, que dire de lui, sinon qu’il se prépare des peines à lui-même et de la joie à ses ennemis ? Garde-toi donc, mon fils, de sacrifier ta raison à une femme, et à l’attrait du plaisir ; sache que ce sont de froids embrassements que ceux d’une femme méchante, qui partage notre couche et notre maison. En effet, quelle plaie plus cruelle qu’un perfide ami ? Dédaigne-la donc comme elle le mérite[1], et laisse-la chercher un époux aux enfers. Puisque, seule entre les Thébains, je l’ai surprise à se révolter ouvertement contre mes ordres, je ne me démentirai point aux yeux des citoyens, elle mourra. Qu’elle implore donc Jupiter protecteur des liens du sang : si je nourris l’esprit de révolte dans mes proches, que devrai-je attendre des étrangers ? Quiconque régit bien sa famille saura aussi gouverner avec justice un État. Mais celui qui transgresse et viole les lois, ou qui veut donner des ordres à ceux qui commandent, celui-là ne saurait obtenir mes éloges. Il faut obéir à celui que l’État a choisi pour maître, en toutes choses, petites ou grandes, justes ou injustes[2]. Un tel homme, j’en ai la confiance, saura également bien commander et bien obéir ; et dans les périls de la guerre, il restera à son poste, et défendra vaillamment ses alliés. L’anarchie est le plus grand des maux ; elle ruine les

  1. Littéralement : « Mais crache sur elle, comme sur une ennemie. »
  2. J’adopte ici la transposition des cinq vers qui se trouvent un peu plus bas, proposée par Dindorf, et admise dans l’édition de Didot ; elle est plus conforme à l’ordre des idées. — Dans Sénèque (Mèdèe, v. 195) :
    Æquum atque iniquum regis imperium feras