Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/339

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ANTIGONE.

{Antistrophe 3.) Ah ! tu as touché ma plus cuisante blessure, les infortunes accumulées de mon père, et de toute notre race fatale des glorieux Labdacides. O crime du lit maternel ! O incestueux embrassements de ma triste mère avec mon père, qu’elle-même avait enfanté, à qui je dois la vie, et vers lesquels je vais, infortunée, chargée d’imprécations, privée d’hymen, pour partager leur demeure ! O mon frère, c’est ton funeste hymen[1], c’est ta mort qui m’arrache la vie.

LE CHOEUR.

La piété envers les morts est respectable ; mais l’autorité, pour celui qui la garde est tout à fait inviolable : toi, c’est ton caractère volontaire, indépendant, qui t’a perdue.

ANTIGONE.

(Épode.) Sans consolations, sans amis, sans époux, je suis entraînée sur cette route qui m’attend. Malheureuse, il ne me sera plus permis de voir la sainte clarté du soleil[2], et nul ami ne donne à mon sort ni larmes ni regrets.

CRÉON.

Savez-vous bien que s’il fallait tant de lamentations et de gémissements avant de mourir, personne n’en finirait ? Que tardez-vous à l'emmener ? Renfermez-la, et abandonnez-la seule et solitaire, dans ce tombeau obscur, comme je l’ai prescrit, soit qu’elle désire y mourir, ou être ensevelie vivante dans une telle demeure : ainsi nous serons purs de la mort de cette jeune fille, et elle restera privée du commerce des vivants.

ANTIGONE.

O tombeau ! ô chambre nuptiale ! ô demeure creusée dans le roc, ma prison éternelle, où je vais retrouver aux enfers mes proches, dont Proserpine a déjà reçu le

  1. Polynice avait épousé la fille d’Adraste, roi d’Argos, dont l’armée avait marché contre Thèbes.
  2. Τόδε λαμπάδος ἱερὸν ὄμμα « cet œil sacré de lumière »