Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tu viens, réponds que tu es le fils d’Achille, ceci n’est point à dissimuler ; mais tu feindras que tu retournes dans ta patrie, après avoir quitté la flotte des Grecs, objets de ta violente haine, eux qui, après t’avoir attiré par d’humbles prières, parce qu’ils n’avaient pas d’autre moyen de prendre Ilion, à ton arrivée, ne t’ont pas jugé digne des armes d’Achille, sur lesquelles tu réclamais tes droits, et les ont livrées à Ulysse. Là, tu pourras te répandre en invectives amères contre moi ; rien de tout cela ne me blessera ; mais par une autre conduite, tu attirerais sur les Grecs de grandes infortunes. Car, enfin, si tu ne t’empares de son arc et de ses flèches, tu ne pourras renverser les murs de Dardanos. Un entretien avec cet homme ne présente pour moi ni confiance, ni sûreté ; mais pour toi il est sans péril, apprends-en la cause. Tu es venu au camp, de ta propre volonté, sans être lié par aucun serment[1], sans contrainte, et tu n’étais pas de la première expédition[2] ; mais moi, je ne puis désavouer aucun de ces faits. Si donc, armé de son arc, il apprend ma présence, je suis perdu, et, comme ton compagnon, je te perds avec moi. Il te faut donc imaginer quelque moyen de lui dérober les armes invincibles. Je sais, mon fils, que ton naturel ne se prête ni à des paroles ni à des actions artificieuses ; mais pourtant il est doux d’obtenir le prix de la victoire ; ose donc, et nous nous montrerons ensuite fidèles à la justice. Mais, à présent, fais-moi le sacrifice de ta loyauté, pour une courte partie de ce jour, et, ensuite, sois appelé à jamais le plus vertueux des mortels.

NÉOPTOLÈME.

Pour moi, fils de Laërte, les conseils que j’ai peine à entendre, j’aurais aussi horreur de les suivre : je ne sais

  1. Voyez dans Ajax (note sur le vers 1113), le serment par lequel tous les prétendants à la main d’Hélène s’étaient engagés à secourir celui d’entre eux qui serait préféré.
  2. Celle qui abandonna Philoctète dans l’île déserte. — Quant à la contrainte, on sait quelle ruse Ulysse avait mise en œuvre pour ne pas rejoindre l’armée.