Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/408

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ULYSSE.

Je déclare que si, et il faut obéir.

PHILOCTÈTE.

Ah ! malheureux que je suis ! mon père m’a-t-il donc fait naître esclave, et non pas homme libre ?

ULYSSE.

Non, mais l’émule des plus braves guerriers, avec lesquels tu dois prendre Troie, et la ruiner de fond en comble.

PHILOCTÈTE.

Non, jamais ! dussé-je souffrir mille maux ! jamais, tant que j’aurai pour asile le sol élevé de cette île.

ULYSSE.

Que feras-tu donc ?

PHILOCTÈTE.

À l’instant même je me briserai la tête, en me précipitant du haut de ce rocher.

ULYSSE.

Eh bien ! saisissez-le ; qu’on l’empêche d’accomplir sa menace[1].

PHILOCTÈTE.

O mes mains, quel traitement vous subissez, privées de votre arc chéri, et devenues captives d’un tel homme ! O toi, qui ne connus jamais rien de juste ni de bon, par quelle surprise[2], et dans quels pièges m’as-tu enveloppé ? Pour me séduire, tu as mis en avant ce jeune homme qui m’était inconnu, et dont la droiture, digne de la mienne, répondait peu à ta perfidie ; il ne savait qu’obéir ; maintenant, on le voit, sa douleur éclate sur ses traits, il se repent de sa faute et des maux où il m’a jeté. Mais ton âme perverse, qui épie toujours le mal à faire, a su instruire dans le crime ce cœur simple qui s’y refusait. Maintenant, tu me charges de liens, et tu songes à

  1. On s’empare de lui.
  2. Οῖως μ᾿ ὐπῆλθες, métaphore empruntée à la lutte : « Comme tu m’as pris en dessous ! » V. Œdipe Roi, vers 386. Le mot suivant, ὤς μ᾿ ἑθηράσω, est tiré de la chasse.