Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/432

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cule, ou les funestes effets de l’amour. Les souffrances de l’amour, voilà réellement le sujet conçu par le poëte, et dont il a su tirer de grandes beautés. La mort d’Hercule forme en effet le dénoûment du drame ; mais l’intérêt tragique, pendant la majeure partie de la pièce, se porte sur Déjanire. Ses alarmes sur le sort d’Hercule, sa tendresse pour le héros, sa jalousie, et jusqu’à l’erreur funeste qui la rend l’auteur de la mort d’un époux, dont elle voulait s’assurer l’amour sans partage, tout attire notre vive sympathie sur Déjanire ; puis, lorsqu’elle s’est donné la mort, la dernière partie, où Hercule paraît enfin et occupe seul la scène, forme comme un autre drame, dont le titre pourrait être, les derniers moments d’un héros. — Mais que de beautés rachètent ce défaut de composition !

Et d’abord, arrêtons-nous au rôle admirable de Déjanire, un des caractères de femme les mieux traités par les anciens. Merveilleux composé d’amour, de jalousie, de crédulité et de faiblesse, la vie errante d’Hercule la condamne presque à la solitude et à l’abandon ; aussi, quelle teinte mélancolique se réfléchit jusque sur sa joie ! À la nouvelle des victoires d’Hercule et de son prochain retour, elle répond aux paroles du Chœur : « N’ai-je pas un juste sujet de me réjouir des succès de mon époux ? je dois les accueillir avec joie. Cependant l’esprit sage sait qu’au sein même de la prospérité, on doit craindre qu’elle ne nous échappe. » Elle ose à peine se livrer à son bonheur ; on peut déjà, sous ces mots, entrevoir la trace d’une vague inquiétude. Cependant son caractère n’en est pas moins bienveillant : comme elle compatit à la triste situation des jeunes captives ! Avec quelle douceur elle interroge Iole, en qui elle doit reconnaître bientôt sa rivale ! Mais à ce premier mouvement de pitié qui la pousse à s’enquérir du nom de cette jeune fille, de sa naissance, de tout ce qui la concerne, se mêle déjà, à son insu même, un pressentiment de jalousie ; déjà un léger soupçon se glisse dans son âme ; elle frémit au fond de son cœur, cette femme si tendre, à la nature si passionnée, en voyant une jeune fille d’une rare beauté, qui, dans la foule des compagnes qui l’entourent, attire seule les regards. Néanmoins elle reste indulgente jusqu’au bout pour