Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/59

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LE MESSAGER.

Teucer ne voulait point qu’Ajax sortît de sa tente avant que lui-même ne fût arrivé.

LE CHOEUR.

Mais il est sorti dans les intentions les plus sages, afin d’apaiser la colère des dieux.

LE MESSAGER.

Ce sont là des paroles pleines de folie, si la prophétie de Calchas est véritable[1] !

LE CHOEUR.

Quelle est-elle ? que sait-il donc là-dessus ?

LE MESSAGER.

Voici ce que j’ai su, et dont moi-même j’ai été témoin. Calchas, sortant de l’assemblée des rois, et quittant les Atrides, a pris la main de Teucer avec amitié, et il lui a dit et recommandé de faire tous ses efforts pour retenir Ajax et l’empêcher de sortir de sa tente, s’il voulait le retrouver vivant. Car ce jour seul encore, ajouta-t-il, la colère de la divine Minerve le poursuivra pendant toute la journée qui luit à présent. En effet, les hommes les plus élevés, mais dépourvus de prudence, sont précipités par les dieux dans un abîme de misère, disait le devin, quand, oubliant qu’ils sont mortels, ils ont des sentiments peu conformes à leur nature. — Déjà au sortir de ses foyers, Ajax montra sa démence, en n’écoutant pas les sages avis de son père. Celui-ci lui disait : « Mon fils, sois jaloux de vaincre, mais toujours de vaincre avec l’appui des dieux. » Il répondit dans son fol orgueil : « Mon père, avec les dieux un lâche même peut obtenir la victoire ; moi, je me flatte, sans leur aide, d’acquérir cette gloire. » Tel était son superbe langage. Une autre fois, quand la divine Minerve, le pressant, l’exhortait à tourner son bras meurtrier contre les ennemis, il lui répliqua par ces paroles arrogantes et impies : « Déesse,

  1. Le Scholiaste dit que ce vers était devenu proverbe, et qu’il a été cité par Aristophane. Il ne se trouve pas du moins dans les pièces qui nous restent de lui.