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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/142

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puissent vivre en paix ensemble ? Mais à propos, vous dites que les dieux n’y vivent pas seulement l’un avec l’autre ! Vous avez menti, lui dis-je en lui baillant un soufflet ; vous êtes un blasphémateur.

Alors ce rustre m’empoigne et me jette au fond du bassin, où j’avalai, je pense, plus de cinquante mille âmes ; et je dois avoir maintenant bien de l’esprit et bien du courage. Cette boisson-là ne se peut comparer qu’au lait d’ânesse pour sa douceur ; mais néanmoins ce n’était point une liqueur véritablement, c’était plutôt une certaine fumée épaisse. Je sortis de là avec grande peine et ne trouvai mes habits mouillés aucunement ; car il me semblait que je les avais alors, encore que je ne les eusse point, étant dans la cuve du lac.

Ma curiosité n’étant pas encore assouvie, je passai plus outre, pour voir quelque chose de nouveau. J’aperçus plusieurs personnages qui tiraient une grosse corde à reposées et suaient à grosses gouttes, tant leur travail était grand.

— Qui sont ces gens-là ? Que font-ils ? demandai-je à un homme habillé en ermite qui les regardait.

— Ce sont des dieux, me répondit-il avec une parole assez courtoise ; ils s’exercent à faire tenir la sphère du monde en son mouvement ordinaire. Vous en verrez tantôt d’autres, qui se reposent maintenant, les venir relever de leur peine.

— Mais comment, ce dis-je, font-ils tourner la sphère ?

— N’avez-vous jamais vu, reprit-il, une noix percée et un bâton mis dedans avec une corde, qui fait tourner un moulinet quand l’on la tire ?