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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/192

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ta le pâté tout fermé, et nous dit : Monsieur veut que vous mangiez votre part de cela. Un Normand affamé ôta la couverture, et, voyant le chausse-pied, se mit tellement en colère contre le cuistre, qui se moquait de nous, qu’il lui jeta toute la croûte et se sauva après en la chambre d’un sien ami, où il demeura un jour durant, craignant le courroux d’Hortensius. Le Gascon et moi nous nous pâmions de rire, bien que nous eussions le ventre presque aussi creux que les autres, et tous ensemble, ne pouvant avoir chez notre maître de quoi manger, nous fîmes venir quelque chose de la ville, que nous achetâmes de notre argent : ainsi tel en pâtit qui n’en pouvait mais, et notre pédant ne sut point que j’avais dérobé le lièvre.

En ce temps-là, j’étais à la troisième, où je n’avais encore rien donné pour les landis[1] ni pour les chandelles, bien que l’on fût déjà près des vacances ; et c’était que mon père avait oublié d’envoyer cela avec ce qu’il fallait pour ma pension : mon régent, mal content au possible, exerçait sur moi, à cette occasion, des rigueurs dont les autres étaient exempts, et me faisait, quand il pouvait, de petits affronts sur ce sujet.

Afin de lui causer plus de dépit, voyant qu’il cherchait partout quelques raisons pour autoriser le supplice qu’il avait envie de me faire endurer, j’étudiais mieux et m’abstenais plus que de coutume de toutes sortes de friponneries, si bien qu’il pensa plusieurs fois perdre patience, et m’imputer faussement quelque chose, tant cette âme vile se colérait lorsqu’on n’assouvissait point son avarice. Par sa méchanceté, il m’eût fallu passer par les piques, si mon argent ne fût venu à point nommé : je le

  1. ndws : Landit, honoraires que les écoliers donnaient à leurs maîtres à l’époque de la foire du Landit, au mois de juillet. Cf. éd. Roy, t. I, p. 188.