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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/191

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en garde ? Il était bien plus à juger que c’était quelqu’un de nous autres écoliers, et le pédant se l’imagina bien, sachant qu’il y en avait entre nous autres qui avaient l’artifice d’ouvrir toutes sortes de serrures. Toutefois, ne soupçonnant pas un particulièrement du fait dont il était question, il eût volontiers, tant sa rage était grande, fait ouvrir, notre corps pour savoir la vérité comme fit Tamberlan à ce soldat qui avait dérobé le lait d’une pauvre villageoise.

À la fin, il se résolut de nous punir tous, afin de ne point faillir à punir le coupable, ce qui était une injustice bien grande, ne lui en déplaise ; mais quel supplice pensez-vous qu’il nous fit souffrir ? Celui que je vous ai dit tantôt, qui lui était profitable : il dîna tout exprès auparavant que nous fussions sortis de la classe, et se retira après dans son étude. Au sortir de la messe, nous n’avions point trouvé le cuistre pour lui demander notre bisée[1], après laquelle nous courions plus allègrement que si le vent de bise nous eût soufflé au derrière ; et croyez que, quand nous avions nouvelles que le boulanger les apportait, nous étions frappés d’un doux vent ; aussi étaient-elles toutes creuses et l’on ne trouvait rien dedans que du vent au lieu de mie. Je vous laisse à juger si nous ne devions pas avoir bien faim ; et toutefois l’on nous fit asseoir à une table où il n’y avait rien que la nappe blanche comme les torchons des écuelles : pour des serviettes, l’usage en était défendu, parce que l’on y torche quelquefois ses doigts, qui sont entourés de certaine graisse qui repaît d’autant plus quand l’on les lèche.

Ayant demandé de quoi dîner au cuistre, il nous appor-

  1. ndws : vient de bise petite miche de pain blanc que l’on donne aux écoliers, cf. Furetière, op. cit., t. I, vue. 174.