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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/194

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— Non, répondit-il, en prenant l’argent, ceci est pour moi, je vous laisse le citron.

Après il me dit qu’il me louait bien pour ma subtilité, mais qu’il me blâmait pour le hasard où je m’étais mis de perdre mes écus. Tandis qu’il discourait là-dessus, ses écoliers plaudèrent[1] de leurs portefeuilles à l’accoutumée contre les bancs, et si fort qu’ils les pensèrent rompre.

Depuis, cet animal farouche, entièrement apprivoisé, ne me traita pas plus rigoureusement que les autres ; mais je ne pus jouir longtemps de ce bonheur, parce que mon père me manda, par ses lettres, que j’allasse en notre pays aux noces de mes sœurs que l’on devait marier en un même jour, l’une à un brave gentilhomme et l’autre à un conseiller du parlement de Bretagne. Je fus donc là par la voie du messager, et jamais je ne me vis si aise ; car l’on ne me parlait guère autre chose que de faire bonne chère. Néanmoins l’envie que j’avais d’apprendre les sciences me fit demander mon congé après la fête ; d’autant que la Saint-Remy s’approchait, où les leçons se recommencent ; et je m’en revins donc, âgé d’environ treize ans, pour être à la seconde classe.

De celle-là, je passai les années suivantes à toutes les autres, et enfin achevai mon cours. Je ne vous dirai rien de ce qui m’y advint ; car ce sont de petites choses qui ne feraient qu’importuner vos oreilles. Déjà je suis las de vous avoir tant conté de niaiseries, vu que je puis mieux vous entretenir.

— Comment, monsieur, dit le seigneur bourguignon, est-ce ainsi que vous me privez cruellement du récit de vos plus plaisantes aventures ? Ignorez-vous que ces

  1. ndws : plauder : battre, cf. Oudin op. cit., p. 432.