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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/264

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je prenais à la poésie ; il faut qu’en retournant sur ce sujet je vous conte que l’on me mit en main quelques ouvrages assez polis, sur lesquels je façonnai ceux que je fis après ; l’on m’enseigna même un certain livre fort nouveau, et d’un auteur fort renommé, que je me délibérai d’acheter, pour y apprendre comment il fallait écrire selon le siècle ; car je confessais ingénument que je n’y entendais rien.

Ayant appris que le libraire qui vendait cet ouvrage-là demeurait en la rue Saint-Jacques, je m’y en allai ; et, ma curiosité étant connue, aussitôt l’on prit la peine de me montrer une infinité de livres français, qui m’avaient été auparavant inconnus. Je n’avais pas assez de moyens pour acheter tant de marchandise ; voilà pourquoi je ne fis emplette que de ce que j’avais eu premièrement dessein d’avoir, de quoi même l’on m’avait prêté de l’argent. Nonobstant je ne laissais pas de m’amuser à feuilleter tous les livres qui étaient dessus le comptoir, comme voici venir un grand jeune homme maigre et pâle, qui avait les yeux égarés et la façon toute extraordinaire : il était si mal vêtu que je n’avais point de crainte qu’il se moquât de moi ; de sorte que je parlai franchement au libraire devant lui, sans me soucier qu’il m’écoutât.

— Apprenez-moi, disais-je, s’il y a quelqu’un en ce temps-ci qui fasse bien en poésie : j’ai toujours cru qu’il n’y en a point qui y excellent, d’autant que je ne pense pas même que l’on s’amuse beaucoup en ce siècle-ci à rimer.

— En quelle erreur êtes-vous, me répondit le libraire ;