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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/265

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ne viens-je pas de vous montrer des œuvres admirables, composées par des auteurs encore vivants ? Mais c’est possible que vous ne prisez pas la nouvelle façon d’écrire de ces messieurs, et que vous n’estimez que les choses anciennes et grossières.

— Moi, ce dis-je, je ne sais pas si l’on fait mieux en ce temps-ci qu’au temps passé, et ne saurais-je discerner, quand je fais des vers, s’ils sont à la mode ou à l’antique.

Le jeune homme, en tournant alors la tête vers moi avec un ris de mauvaise grâce, et montrant la plupart de ses dents, me dit :

— Vous faites donc des vers, monsieur, à ce que j’entends ?

— Je mets des paroles avec des paroles, sur des sujets qui s’offrent à mon esprit, répondis-je ; mais je les arrange si mal, que je ne crois pas que l’on doive appeler cela de la poésie.

Là-dessus, il me répliqua que je disais ceci par humilité, et me pria de lui montrer quelqu’un de mes ouvrages. Je lui dis que je n’osais pas faire voir des pièces qui n’étaient pas par aventure selon les règles qu’il fallait suivre alors, desquelles je n’avais aucune connaissance.

— Hé bien, monsieur, me repartit-il, je vous dirai en ami ce qui m’en semblera, et possible serez-vous bien aise d’avoir ma conférence ; car il n’y en a pas trois dans Paris qui se puissent vanter de savoir mieux juger d’un vers que moi.

Ces paroles-là ne m’ayant pu persuader de lui accorder sa prière, il prit congé de moi, ayant mis deux ou trois livres sous son manteau, sans en donner de l’ar-