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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/32

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et parmi l’excès du plaisir qu’il sentait, il ne se pouvait tenir de parler lui tout seul et de dire :

— Bon pèlerin qui m’avez montré la voie de goûter les plus chers contentements du monde, vous vous appelez Francion à ce que j’ai pu apprendre, et véritablement je puis estimer que vous n’êtes venu en terre que pour me faire jouir d’une douce chose, de qui par une rencontre fatale l’on trouve le nom dans celui que vous portez, si on en veut ôter un I.

Ainsi Valentin se chatouillait pour se faire rire ; et étant arrivé à un orme, il l’entoura de ses bras, comme le pèlerin lui avait conseillé. En cette action, il dit plusieurs oraisons et après se retourna pour embrasser l’arbre par derrière, en disant :

— Il me sera aussi facile d’embrasser ma femme, puisque Dieu le veut, comme d’embrasser cet orme de tous côtés.

Mais comme il était en cette posture, il se sentit soudain prendre les mains et, quoiqu’il tâchât de toute sa force de les retirer, il ne le put faire : elles furent liées avec une corde en moins de temps qu’il n’y en a que j’en discours ; et, en allongeant le col, comme les marmousets dont la tête ne tient point au corps et qu’on élève tant que l’on veut avec un bâtonnet, il regarda tout autour de lui pour voir qui c’était qui lui jouait ce mauvais tour.

Une telle frayeur le surprit, qu’au lieu d’un homme seul qui se glissait vitement entre les arbres après avoir fait son coup, il croyait fermement qu’il y en avait cinquante, et, qui plus est, que c’étaient tous des malins