Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/105

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vis, ajoutant foi à ses paroles ; et, quand je fus descendu, j’aperçus Laurette en un coin tout immobile : à l’instant je courus l’embrasser ; mais, au lieu de sentir une chair douce et délicate, je ne sentis rien qu’une pierre froide, ce qui me fit imaginer que ce n’étoit qu’une statue. Toutefois je voyois les yeux se remuer comme s’ils eussent été vivans, et la bouche, après un mignard souris, me dit : Vous soyez le bienvenu, mon Francion ; ma colère est passée, il y a longtemps que je vous attends. La femme qui m’avoit conduit là, me voyant en grande peine alors, m’apprit qu’il étoit inutile d’embrasser Laurette, et qu’elle étoit enfermée d’un étui de verre à proportion de son corps, que l’on voyoit aisément au travers. Cela dit, elle me parla de Valentin, et me fit accroire que j’étois aussi impuissant que lui aux combats de l’amour, mais qu’elle avoit des remèdes pour me donner de la vigueur ; car, comme vous le savez, les songes ne sont remplis que des choses auxquelles on a pensé le jour précédent. M’ayant donc fait coucher tout de mon long, elle me fourra une baguette dedans le fondement, dont elle fit sortir un bout par le haut de ma tête ; néanmoins cela me causa si peu de mal, que j’étois plutôt ému à rire de cette plaisante recette qu’à me plaindre. Comme je me tâtois de tous côtés, je sentis que la baguette poussa de petites branches chargées de feuilles, et peu après poussa un bouton de fleur inconnue qui, s’étant éclos et étalé, se pencha assez pour réjouir mes yeux par sa belle couleur. J’eusse bien voulu savoir s’il avoit une odeur qui pût aussi bien contenter le nez, et, ne l’en pouvant pas approcher, je coupai sa queue avec mes ongles pour le séparer de la tige. Mais je fus bien étonné de voir que le sang sortit aussitôt par l’endroit où j’avois rompu la plante ; et peu après je commençai de souffrir un petit mal qui me contraignit de me plaindre à ma chirurgienne, qui, accourant à moi, et voyant ce que j’avois fait, s’écria : Tout est perdu, vous mourrez bientôt par votre faute. Je ne sais rien qui vous puisse sauver : la fleur que vous avez rompue étoit un des membres de votre corps. Eh ! rendez-moi la vie, ce dis-je, vous m’avez déjà montré que rien ne vous est impossible. Je m’en vais mettre tous mes efforts à vous guérir, me répliqua-t-elle ; puisque Laurette est ici présente, je crois que, par son moyen, je viendrai mieux à bout de mon entreprise.