Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/104

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répondit-elle, ce sont des panaches que portent invisiblement les cocus. Alors Valentin sortit du lieu le plus secret du temple, vêtu en ramoneur de cheminée, et paré de cornes d’argent. Ce n’est pas moi qui te fais porter ceci, dis-je en moi-même, mais je le voudrois bien. Les femmes qui étoient entrées, l’ayant vu paroître, commencèrent à le siffler et à lui faire mille niches, qui le contraignirent de se retirer. Les cornes d’argent qu’il porte, me dit-on après son départ, veulent signifier que son cocuage lui est profitable ; et, regardez, vous en verrez même en ce lieu de toutes chargées de pierreries : car, quant à celles qui sont simplement de bois, elles démontrent que celui à qui elles appartiennent, ou à qui elles doivent appartenir, est Janin[1] sans qu’il le sache, et n’est point plus riche pour cela. Ayant prié à loisir le dieu Vulcain à ce qu’il me donnât la grâce de plutôt planter des cornes que d’en recevoir, je retournai au temple de l’amour, à qui je fis une dévote oraison, où je le suppliois de me donner le pouvoir de gagner tant de pucelages que j’en couvrisse tout son autel. De là je m’en voulus retourner à la salle des dames ; mais je rencontrai Valentin sur la porte, qui, se courbant, me donna de roideur un tel coup de ses cornes dedans le ventre, qu’il m’y fit une fort large ouverture. Je m’allai coucher dans le cabinet des roses, où je me mis à contempler mes boyaux, et tout ce qui étoit auprès d’eux de plus secret : je les tirai hors de leur place, et eus la curiosité de les mesurer avec mes mains, mais je ne me souviens pas combien ils avoient d’empans[2] de long : il me seroit bien difficile de vous dire en quelle humeur j’étois alors ; car, quoique je me visse blessé, je ne m’en attristois point, et ne cherchois aucun secours. Enfin cette femme, qui m’avoit auparavant pissé dans la bouche, s’en vint à moi et prit du fil et une aiguille, dont elle recousit ma plaie si proprement, qu’elle ne paroissoit plus après. Venez voir votre Laurette, me dit-elle à l’heure, elle est dedans ma caverne : je la sui-

  1. Janin ou Jeannin était, comme Jean, synonyme de nigaud. Il est inutile de dire ce que, par extension, il signifie dans le cas présent.
  2. Un empan était une mesure qui équivalait à trois quarts de pied.