Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mon père fut auprès de lui avant qu’il eût eu le loisir de se relever : par sa voix, qu’il fut contraint de faire ouïr, en disant que l’on lui pardonnât, notre serviteur reconnut que c’étoit un paysan d’un bourg prochain ; et, par un panier où il y avoit deux ou trois poires de bon chrétien, mon père vit qu’il étoit venu là pour dérober ses fruits. Néanmoins il avoit un courage si peu porté à tirer vengeance d’une telle canaille, qu’il se contenta de lui bailler deux ou trois coups de pied au cul, et de le menacer de le mettre en justice s’il retournoit à sa première faute. Encore fit-il un acte de clémence, bien gracieux et bien agréable. Or çà, Lubin, lui dit-il, ma foi, je vois bien que c’est peine perdue de te vouloir empêcher d’avoir toujours de mon fruit ; je ne puis pas faire la garde toutes les nuits, et d’ailleurs je ne veux pas faire de la dépense pour rendre mes murailles plus hautes, mais accordons-nous ensemble : combien veux-tu de poires tous les ans, à la charge que tu ne m’en viendras plus dérober ? Te contenteras-tu d’un cent ? Alors ce vilain brutal lui répondit : Par ma foi, monsieur, j’y perdrois[1]. Et cette repartie sembla si naïve à mon père, qu’elle le fit plutôt rire que de le fâcher : il continua seulement ses menaces, et le laissa aller, étant assez aise d’avoir reconnu quel esprit c’étoit que notre valet avoit vu sur les arbres ; mais, quant à celui qui m’avoit tourmenté, et qui avoit fait ravage dans la maison, il n’en sçavoit que juger. Le lendemain, il entra dans le logis où étoit le singe, qu’il vit attaché d’une chaîne de fer dedans la chambre basse. Il demanda à un laboureur, qui demeuroit là dedans, à qui appartenoit cette bête. Monsieur, répondit-il, elle est à un gentilhomme dont je suis affectionné, et qui me l’a baillée en garde. Il est bien vrai qu’elle fait plusieurs plaisanteries : ayant été l’autre jour à la boutique du barbier, elle s’en revint ici, et, ayant pris un torchon, le mit au col de notre chat : elle tenoit des ciseaux dont elle lui voulut faire la barbe, de même qu’elle venoit d’apprendre, et lui coupa toutes les mous-

  1. Nous lisons dans les Historiettes de Tallemant des Réaux : « Bassompierre gagnoit tous les ans cinquante mille écus à M. de Guise ; madame de Guise lui offrit dix mille écus et qu’il ne jouât plus contre son mari ; il répondit, comme le maître d’hôtel du maréchal de Biron : « J’y perdrois trop. »