Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/135

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manda, par ses lettres, que j’allasse en notre pays aux noces de mes deux sœurs, que l’on devoit marier en un même jour, l’une à un brave gentilhomme et l’autre à un conseiller du parlement de Bretagne. Je fus donc là par la voie du messager, et jamais je ne me vis si aise ; car l’on ne me parloit de guère autre chose que de faire bonne chère. Néanmoins l’envie que j’avois d’apprendre les sciences me fit demander mon congé après la fête, d’autant que la Saint-Remy[1] s’approchoit, où les leçons se recommencent ; et je m’en revins donc, âgé d’environ treize ans, pour être à la seconde classe. De celle-là je passai les années suivantes à toutes les autres, et enfin j’achevai mon cours. Je ne vous dirai rien de ce qui m’y avint ; car ce sont de petites choses qui ne feroient qu’importuner vos oreilles. Je suis déjà las de vous avoir tant conté de niaiseries, vu que je vous puis mieux entretenir. Comment, monsieur, dit le seigneur bourguignon, est-ce ainsi que vous me privez cruellement du récit de vos plus plaisantes aventures ? Ignorez-vous que ces actions basses sont infiniment agréables, et que nous prenons même du contentement à ouïr celles des gueux et des faquins, comme de Guzman d’Alfarache et de Lazaril de Tormes : comment n’en recevrais-je point à ouïr celles d’un gentilhomme écolier qui fait paroître la subtilité de son esprit et la grandeur de son courage dès sa jeunesse ? Vous ne sçavez pas, repartit Francion, que vous recevrez bien plus de plaisir à entendre ce qui m’est avenu en un âge plus haut, d’autant que ce sont choses plus sérieuses, et où vous trouverez bien plus de quoi vous repaître l’esprit. Je n’attends rien que des merveilles de votre vie courtisane, dit le seigneur ; car j’en ai déjà ouï quelque chose de nonpareil par de certaines personnes qui venoient de la cour : c’est pourquoi je voudrois que vous y fussiez déjà, et que vous eussiez passé toutes les classes, quand vous devriez être fouetté dix fois à chacune ; néanmoins je ne désire pas sauter d’un temps à l’autre. Vous vous figurez avec grâce les choses comme si elles étoient présentes, lui dit Francion, et vraiment je vous sais bon gré de ce que vous souhaitez ainsi de me voir tant donner le fouet. Où pourrois-je trouver des fesses qui y puissent résister ? Je vous prie, faites forger une cuirasse à mon cul,

  1. Le 1er octobre.