Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/137

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les mains de Francion, qui dit qu’il étoit marri d’en avoir parlé, puisqu’il étoit cause qu’il avoit pris cette peine-là. En après, il tourna sa vue vers le tableau, où il vit dépeinte une beauté, la plus parfaite et la plus charmante du monde. Ah ! monsieur, s’écria-t-il, mettez-vous de tels enchantemens dans la chambre de vos hôtes, afin de les faire mourir sans qu’ils y pensent, pour avoir leurs dépouilles ? Ah ! vous m’avez tué en me montrant ce portrait. Tout le monde n’est pas si sensible que vous, dit le seigneur ; et, si je l’étois, je serois déjà mort, puisque j’ai beaucoup de fois contemplé les attraits de ce visage.

Francion alors regarda sur la couverture du tableau, car il se fermoit comme une boîte, et il vit en écrit : Naïs. Que veut signifier cela ? dit-il. C’est le nom de la belle, lui répondit le seigneur ; elle est Italienne, comme vous pouvez voir, par sa coiffure. Un gentilhomme italien, nommé Dorini, qui vint ici dernièrement, me prêta ce portrait pour huit jours, afin que j’eusse le loisir de le considérer à mon aise. Je l’avois mis en cette chambre-ci, qui est la plus secrète de tout mon château, et où je fais mon cabinet de délices. Cette non-pareille dame est-elle encore vivante ? dit Francion. Je n’en sçais rien, répondit le seigneur, il n’y a que Dorini qui nous le puisse apprendre. Ah ! que vous êtes peu curieux de ne vous en être point encore enquêté, reprit Francion. L’on voit bien que vous êtes d’une humeur libre, qui se tient dans l’indifférence. Il est vrai, repartit le seigneur, et je vous jure qu’étant avec Hélène, que j’allai voir avant-hier, et qui n’a qu’une beauté vulgaire, je pris autant de plaisir que je pourrois faire en jouissant de l’incomparable Naïs. Fermez les yeux, monsieur, quand vous serez contraint de baiser un visage qui n’aura rien d’attrayant, et vos sens ne laisseront pas d’être chatouillés du plaisir le plus parfait de l’amour, et vous éteindrez l’ardeur que vous aviez pour vous joindre à un corps en qui vos yeux trouvent des sujets d’une extrême passion.

Alors Francion, ayant regardé attentivement le portrait, l’attacha d’une épingle au dossier de son lit, et reprit après la parole, ainsi que l’on pourra voir au livre suivant.