Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/139

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sions les journées sur de semblables badineries, et celui qui répondoit le mieux là-dessus portoit la qualité de l’empereur. Quelquefois ce sot pédant nous donnoit des vers à faire, et enduroit que nous en prissions de tout entiers de Virgile, pour le mieux imiter, et que nous nous servissions encore, pour parfaire les autres, de certains bouquins, comme de Parnasse et de Textor[1]. S’il nous donnoit à composer en prose, nous nous aidions tout de même de quelques livres de pareille étoffe, dont nous tirions toutes sortes de pièces pour en faire une capilotade à la pédantesque. Cela n’étoit-il pas bien propre à former notre esprit et ouvrir notre jugement ? Quelle vilenie de voir qu’il n’y a plus quasi que des barbares dans les universités pour enseigner la jeunesse ! Ne devroient-ils pas considérer qu’il faut de bonne heure apprendre aux enfans à inventer quelque chose d’eux-mêmes, non pas les renvoyer à des recueils, à quoi ils s’attendent, et s’engourdissent tandis ? On ne sçait point de là ce que c’est que de pureté de langage, ni de belles dictions, ni de sentences, ni d’histoires citées bien à propos, ni de similitudes bien rapportées. Mon Dieu, que les pères sont trompés, pensant avoir donné leurs fils à des hommes qui les rempliront d’une bonne et profitable science ! Les précepteurs sont des gens qui viennent presque de la charrue à la chaire ; et sont un peu de temps cuistres, pendant lequel ils dérobent quelques heures de classes, qu’ils doivent au service de leur maître, pour étudier en passant. Tandis que leur morue est dessus le feu, ils consultent quelque peu leurs livres, et se font à la fin passer maîtres ès arts ; il lisent seulement les commentaires et les scoliastes des auteurs, afin de les expliquer à leurs disciples, et leur donner des annotations dessus. Au reste, ils ne sçavent ce que c’est que de civilité, et faut avoir un bon naturel, et bien noble, pour n’être point corrompu, étant sous leur charge ; car ils vous laissent accoutumer à toutes sortes de vicieuses habitudes sans vous en reprendre.

Notre régent, avec toutes ses belles qualités, ne laissa pas de nous vouloir faire jouer des jeux en françois de sa façon, car il tranchoit grandement du poëte. Il y eut beaucoup d’é-

  1. Ravisius Textor, autrement J. Tixier de Ravisi, auteur de plusieurs manuels classiques, né en 1480 et mort en 1524.