Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/142

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je lui donnois elle fut cause qu’en un instant il devint comme tout pâmé, et que ses esprits furent si affaiblis, qu’il ne me pouvoit pas dire distinctement que je le laissasse. À n’en point mentir, je ne vous nie pas qu’il n’y eût beaucoup de malice de mon côté, et que je ne lui fisse ce traitement quasi tout exprès pour me venger de la cruauté qu’il avoit aucunes fois exercée sur moi ; car, si mon compagnon eût gardé son personnage, je ne lui eusse pas fait souffrir tant de mal : mais je vous assure bien que jamais, en quelque momerie que ce soit, l’on n’a pris autant de contentement que l’on fit en nos jeux, où il arriva de si plaisants succès. L’on me donna la gloire d’avoir le mieux fait de tous les acteurs, qui étoient pour la plupart des caillettes[1] de Parisiens qui, selon les sots enseignemens du régent, rempli de civilité comme un porcher, tenoient chacun un beau mouchoir à la main par faute d’autre contenance, et prononçoient les vers en les chantant, et faisant souvent un éclat de voix plus haut que les autres. Pour bien faire, je faisois tout le contraire de ce que mon maître m’avoit enseigné ; et, quand il me falloit saluer quelqu’un, ma révérence étoit à la courtisane, non pas à la mode des enfans du Saint-Esprit, qu’il m’avoit voulu contraindre d’imiter. Au reste, je ne faisois des gestes ni des démarches qu’aux lieux où la raison me montroit qu’il en étoit besoin : mais je me repentis bien à loisir d’avoir trop bien représenté la furie ; car mon régent, voyant que tout le collège et beaucoup de gens d’honneur de la ville s’étoient moqués de lui, voulut tirer de moi une vengeance exemplaire, et, à la première faute que je commis, il me déchiqueta les fesses avec des verges plus profondément qu’un barbier ne déchiquette le dos d’un malade qu’il ventouse.

En ce temps-là, je vivois avec Hortensius comme de coutume, sinon qu’il nous traitoit encore plus mal que les années précédentes ; et même, pendant l’hiver qui avoit été extrêmement froid, voyant qu’il ne nous donnoit point de bois, nous avions été contraints de brûler les ais de nos études, la paille de nos lits, et puis après nos livres à thème, pour nous chauffer. Un jour, il voulut faire la visite de ma bibliothèque, et, y trouvant force livres françois d’histoires fabu-

  1. Femmelettes.