Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/146

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Les courtisans, qui étoient là, glosèrent sur leurs habits : ils s’étonnèrent des chaperons de ces chaffourés, et comparèrent la grande escarcelle que porte le recteur à celle où maître Gonin[1] mettoit ses instrumens pour faire des tours de passe-passe. Ils furent bien empêchés à juger pourquoi les anciens avoient inventé ces vénérables ornemens, et s’il faisoit plus froid en leur temps qu’au nôtre. Mais ce qui les fit plus rire, fut la crotte qui étoit sur les robes des pédans comme de la broderie. Outre cela, ils en avoient tant apporté à leurs pieds, qu’il sembloit qu’ils eussent fait venir dedans le Louvre toute celle de delà les ponts. Le plancher de la chambre du roi en étoit si plein, que l’on fut plus de deux heures a le nettoyer. Ainsi, Francion, l’on peut connoître que, bien que vous ne soyez pas encore de la logique, vous donnez des définitions aussi bonnes que pourroit faire Aristote, et que véritablement un pédant est un animal indécrottable. Mais parlons d’Hortensius : ne doit-il pas être excepté de cette règle ? Est-il plus mignon que les autres ? De quelle humeur est-il ? Sçachons-le un peu.

Là-dessus, il me fallut dire tout ce que j’en sçavois : Appelles ne dépeignit jamais homme mieux que je fis celui-là, par le crayon de mon éloquence, cela s’entend ; de sorte que je fis rire Fremonde à bon escient. Quand j’eus raconté tout ce que je sçavois, elle dit au jeune avocat le discours que ce maître pédant lui avoit fait il y avoit quelques jours, et résolut, avec lui, d’en prendre un plaisir singulier. J’entendis à bâtons rompus leurs propos et dis incontinent : Je vous jure, mademoiselle Fremonde, qu’il est devenu amoureux de vous ; car, toutes les fois qu’il me voit, il me dit que vous êtes extrêmement parfaite, et me demande si je ne sçais point de vos nouvelles. Mon Dieu ! Francion, répondit Fremonde, faites-moi ce plaisir que de lui faire accroire qu’il est infiniment en mes bonnes grâces et que je ne vis jamais homme si éloquent que lui.

Dès que je lui pus parler familièrement, je ne manquai pas à m’acquitter de cette charge encore mieux que Fremonde n’espéroit ; car je le disposai à l’aller voir dès le lendemain et à lui parler ouvertement de son amour. Il se moquoit bien de plusieurs pédans qui n’y entendoient rien, et,

  1. Célèbre escamoteur du temps de François Ier.