Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/147

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entre autres, du fils d’un certain professeur du roi aux lettres grecques, qui, ayant été voir son accordée, suivant le commandement de son père, ne lui fit aucun compliment et eut toujours une contenance honteuse et niaise. Le professeur, en ayant été averti, lui demanda pourquoi il ne l’avoit pas entretenue amoureusement ; il lui répondit qu’il ne sçavoit pas comment il falloit faire. Eh quoi ! âne, lui dit le père, nonne legisti Ovidium de Arte amandi ? Hortensius s’apprêta bien à faire autrement ; et il lisoit même les Baisers de Jean Second, pour apprendre comment il faut baiser. Or, la première fois qu’il vit sa maîtresse, il lui fit cette docte harangue : Comme ainsi soit que vos attraits prodigieux aient depréhendé mon esprit, qui avoit auparavant blasphémé contre les empanons des flèches de Cupidon, je dois non-seulement implorer les autels de votre douceur, ains encore essayer de transplanter cette incomparable influence du ciel, où séjourne votre divinité, en la terre caduque où m’attachent mes défauts. Partant, ne pouvant qu’injustement adresser mon cœur qu’à vous, dès l’instant que je devins merveilleusement amoureux de si amoureuses merveilles que vous êtes, je résolus de le faire sortir de sa place, et l’offrir à vos pieds, bien qu’il fût fait rébellions générales en mon jugement et en ma raison, qui pensèrent qu’à la fin de vos attraits ils mèneroient les mains si basses, et que ma liberté auroit si bien sur les doigts, qu’il lui seroit force de se rendre. Maintenant vous avez fait de si fortes, visibles et puissantes impressions sur mon âme, que jamais aucun imprimeur n’a mieux imprimé feuille que vous l’avez imprimée d’un caractère indélébile ; et ma volonté, y recevant l’idole de vos monstrueuses beautés, y fait grandement les honneurs de la maison : vous aurez donc toujours, à cette cause, l’image de mes affections au-devant de vos yeux, et mettrez votre nez dedans, afin de voir comme elles sont innumérables. Arrachez les vôtres de votre cœur pour me réciproquer, s’il vous plaît, et n’affligez plus mon repos, comme vous avez fait ci-devant[1].

Cette belle harangue finie, Fremonde lui dit, en paroles

  1. La déclaration d’amour de Granger à mademoiselle Genevote a de grands airs de famille avec ce passage de Francion. (Pédant joué, acte III, scène II.)