Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/165

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l’épée comme marque de sa condition ? Le villageois se trouva pris en cet endroit-ci ; car Hortensius ne lui avoit pas enseigné comment il pourroit répondre à un tel point sans commettre de mensonge : enfin il songea qu’il avoit toujours vu porter un grand couteau au bon défunt à sa ceinture, et dit qu’il ne l’avoit jamais vu sans quelque ferrement. Mais quel ferrement ? dit l’avocat. Possible étoit-ce une bêche. Non, monsieur, c’étoit un glaive, reprit le villageois, ne voulant point user de ce nom de couteau ni d’épée. Vivoit-il en homme de sa qualité ? ajouta l’avocat ; combien avoit-il de chiens ? Rien qu’un, répondit l’autre. Quel chien étoit-ce ? Un grand mâtin, répondit encore le villageois. Il n’alloit donc point à la chasse ? dit l’avocat. Je l’ai vu une fois aller à la chasse d’un loup qui avoit dévoré un de ses moutons ; et, pour montrer sa vaillance, ce fut lui qui le tua d’un seul coup de pierre qu’il lui jeta avec sa houlette. Voilà qui va des mieux, dit l’avocat en riant ; il se servoit de houlette au lieu d’arquebuse, encore qu’il eût été à la guerre. Mais de son mâtin qu’en faisoit-il ? Il servoit à garder son troupeau, tandis qu’il s’en éloignoit un peu, pour s’occuper à faire avec un certain bois de petites croix et de petites figures, tant pour éviter l’oisiveté que pour aider à gagner sa vie. Alors il se fit un petit éclat de risée, qui eût été plus grand sans la présence d’Hortensius, que l’on avoit envie de traiter respectueusement, pour avoir plus de plaisir de lui. Tellement donc, mon ami, dit incontinent l’avocat, que nous apprenons de vos discours que le père de monsieur gardoit les moutons, et étoit réduit à travailler de ses mains pour se subvenir. Mais il n’en doit point être honteux, poursuivit-il en souriant ; car lui, qui a grandement lu, sçait bien qu’autrefois les princes étoient bergers, et qu’encore maintenant l’innocence et la tranquillité de cette condition est beaucoup estimée. Hortensius, voyant que la faute du paysan étoit irréparable, se contenta de dire que son père n’étoit pas moins à priser pour avoir gardé un troupeau de moutons ; qu’étant sorti des tumultes de la guerre il avoit cru qu’il ne pouvoit pas mieux savourer les douceurs de la paix en un autre office. Mais Fremonde, lui faisant une moue de deux pouces et demi, lui assura qu’il pouvoit bien chercher parti ailleurs, et qu’elle ne vouloit point un homme dont le père avoit été d’une qualité si basse, et qu’elle en au-