Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/209

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de sarge[1] doublé seulement de quelque étoffe de soie. Entre les femmes, il y a bien d’autres nivetteries[2] ! j’entends entre les bourgeoises : celles qui ont les cheveux tirés, ou la chaîne sur la robe, sont estimées davantage que les autres, qui ne sont pas ainsi parées.

Quand je pense à la vanité des hommes, je ne me sçaurois trop émerveiller comment leur esprit, qui sans doute est capable de grandes choses, ne fait que s’amuser aux plus abjectes considérations de la terre. Mille coquins, qui passoient par la rue, se retournoient pour me regarder, et moi, qui ai ce bienfait des cieux de pouvoir lire dans les pensées, je connoissois bien que quelques-uns se donnoient de la présomption, parce que leur habit valoit par aventure plus que le mien, et que quelques autres moins braves étoient au contraire envieux de ce que je portois.

Alors il ne s’écouloit point de jour que je ne passasse cinq ou six fois par devant la porte de ma Diane, afin de lui jeter des œœillades qui lui fissent connoître l’extrême affection que j’avois pour elle. Mais cela ne servoit de rien ; car, étant pourvue d’une infinité d’appas, il y en avoit bien d’autres que moi qui la regardoient, et je crois qu’elle ne se pouvoit pas figurer que je fusse plus amoureux d’elle que les autres. Je me résolus de lui écrire une lettre, pour lui découvrir ma passion. Je la fis donc, mais en termes si honnêtes, que l’humeur la plus austère du monde n’eût pas pu s’en offenser. Vous sçavez de quelle sorte on procède en ces matières-là ; voilà pourquoi je ne vous dirai rien de ce poulet : qu’il vous suffise que je fis aussi plusieurs vers, pour lui faire donner avec. Il me souvient qu’il y avoit un sonnet sur son jeune sein, que j’avois vu croître petit à petit depuis que j’étois devenu amoureux d’elle ; puisque je l’ai encore en mon souvenir, il faut que je vous le dise, non pas pour montrer que je fais bien des vers ; car, si je vous le voulois témoigner, je vous réciterois une meilleure pièce : c’est seulement pour ne point passer sous silence cette petite particularité. Le voici :

Je vois s’augmenter chaque jour,
En leur petite enflure ronde,
  1. Serge.
  2. Fadaises.