Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/220

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que Diane l’oubliât ; car son père la maria peu après à un avocat assez riche et assez honnête homme, aux mains duquel j’aimai mieux la voir qu’en celles de Mélibée.

Alors, étant assez consciencieux pour ne vouloir point troubler un ménage, il se trouva que je n’avois plus qu’une affection fort tiède pour elle, et, si j’ose trancher le mot, que je n’en avois plus du tout. L’amour conserva pourtant l’empire qu’il s’étoit acquis dessus moi, et me fit adorer une autre beauté dont la recherche étoit de beaucoup plus épineuse, encore que je l’adorasse facilement.

Après celle-là, j’en ai aimé beaucoup d’autres dont je ne vous parlerai point ; ce serait trop vous ennuyer. Qu’il vous suffise que la plupart ont reconnu mon affection par une réciproque ; mais il n’y en a guère eu qui m’aient donné des témoignages d’une passion véhémente, en m’accordant les plus chères faveurs. Il ne luit pas au ciel tant d’étoiles que de beaux yeux m’ont éclairé. Mon âme s’enflammoit au premier objet qui m’apparoissoit ; et, de cinquante beautés que j’avois le plus souvent dedans ma fantaisie, je ne pouvois pas discerner laquelle m’agréoit le plus : je les poursuivois toutes ensemble ; et, lorsque je perdois l’espoir de jouir de quelqu’une, je recevois quelquefois un déplaisir aussi grand que si cet amour eût été unique. Par aventure, vous conterai-je tantôt quelqu’une de mes affections, comme il écherra.








LIVRE SIXIÈME



Depuis que je m’étois vu bien vêtu, continua Francion, j’avois acquis une infinité de connoissances de jeunes hommes de toutes sortes de qualité, comme de nobles, de fils de justiciers, de fils de financiers et de marchands : tous