Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/221

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les jours nous étions ensemble à la débauche, où je faisois tant que j’emboursois plutôt que de dépenser. Je proposai à cinq ou six des plus galans de faire une compagnie la plus grande que nous pourrions, et de personnes toutes braves et ennemies de la sottise et de l’ignorance, pour converser ensemble et faire une infinité de gentillesses.

Mon avis leur plut tant, qu’ils mirent la main à l’œuvre et ramassèrent chacun bonne quantité de drôles qui en amenèrent encore d’autres de leur connoissance particulière. Nous fîmes des lois qui se devoient garder inviolablement, comme de porter tous de l’honneur à un que l’on éliroit pour chef de toute la bande, de quinze jours en quinze jours ; de s’entre-secourir aux querelles, aux amours et aux autres affaires ; de mépriser les âmes viles de tant de faquins qui sont dans Paris, et qui croient être quelque chose, à cause de leurs ridicules offices. Tous ceux qui voulurent garder ces ordonnances-là, et quelques autres de pareille étoffe, furent reçus au nombre des braves et généreux (nous nous appelions ainsi), et n’importoit pas d’être fils de marchand ni de financier, pourvu que l’on blâmât le trafic et les finances. Nous ne regardions point à la race, nous ne regardions qu’au mérite. Chacun fit un banquet à son tour : pour moi, je m’exemptai d’en faire un, parce que j’avois été l’inventeur de la confrérie, et, ayant été le chef le premier, j’eus après la charge de recevoir les amendes auxquelles on condamnoit ceux qui tomboient en quelque faute que l’on leur avoit défendu de commettre ; l’argent se devoit employer à faire des collations : mais Dieu sçait quel bon gardien j’en étois et si je ne m’en servois pas en mes nécessités.

Mes compagnons étoient si pécunieux et si riches, qu’ils vidoient librement leurs bourses et ne demandoient point compte de ma recette. J’étois le plus brave de tous les braves ; il n’appartenoit qu’à moi de dire un bon mot contre les vilains, dont je suis le fléau envoyé du ciel.

Le fils d’un marchand, ignorant et présomptueux au possible, arriva un jour en une compagnie où j’étois ; il étoit superbement vêtu d’une étoffe qui n’avoit point sa pareille en France : je pense qu’il l’avoit fait faire exprès en Italie ; à cause de cela, il croyoit qu’il n’y avoit personne qui se dût égaler à lui. Je remarquois qu’en marchant il envioit le haut