Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/222

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bout, et que, quand on le saluoit fort honnêtement, il n’ôtoit non plus son chapeau que s’il eût eu la teigne : comme j’ai toujours haï de telles humeurs, je ne pus souffrir celle-là, et dis hautement à ceux qui étoient auprès de moi, en montrant au doigt mon sot : Mes braves, voici la principale boutique du sire Huistache (j’appelois ainsi son père par l’ancien titre), Dieu me sauve, s’il n’y a mis sa plus belle étoffe à l’étalage. Véritablement il y gagnera bien ; car on n’a pas besoin d’aller à sa maison pour voir sa plus riche marchandise : cette boutique-ci est errante, son fils la va montrer partout. Parlez-vous de moi ? me vint-il dire avec un visage renfrogné. Messieurs, ce dis-je en riant à mes compagnons, ne vous offensez-vous point de ce qu’il dit ? Il croit vraiment qu’il y a encore quelqu’un entre vous qui lui ressemble et qui mérite que l’on lui dise ce que je lui ai dit. Se sentant offensé tout à fait, il me repartit, après avoir juré par la mort et par le sang, qu’il ne portoit pas l’épée comme moi, et que ce n’étoit pas son métier, mais que si… Il en demeura là, n’osant pas passer plus outre.

Quant à moi, tournant sa fâcherie en risée, je recommençai à le brocarder : Certes, lui dis-je, c’est une bonne finesse de s’efforcer de couvrir d’autant mieux une chose qu’elle est plus infecte et plus puante ; néanmoins la mauvaise odeur parvient jusques à nous. Puisque vous vous efforcez de paroître en habillement, c’est bien un témoignage que vous n’avez rien autre chose de quoi vous rendre estimable ; mais, ma foi, vous avez tort, car vous avez voulu aller tantôt au-dessus d’un galant homme : toutefois sçachez que, si votre corps va au-dessus du sien, son esprit ne laisse pas d’aller au-dessus du vôtre.

Un de mes compagnons me vint dire alors que je le quittasse là. Aussi veux-je, repartis-je ; j’ai bien peu de raison de disputer contre un habit, car je ne vois rien ici autre chose contre qui je puisse avoir querelle : l’épée vaut beaucoup moins que le fourreau, et, pour dire la vérité, il a raison, ce beau manteau, d’avoir voulu être placé en un lieu plus éminent que cet autre-ci, qui ne le vaut pas. L’on lui pardonne, mais à la charge qu’il n’entrera jamais en contestation qu’avec des manteaux comme lui.

Mon vilain, craignant qu’après avoir affligé son badaud d’es-