Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noit point de tourment en l’esprit ; mais, comme il vit qu’il le laissoit là, il commença d’avoir quelque soupçon qu’il lui voulût jouer d’un trait de l’infidélité qu’il avoit déjà témoignée. Toutefois il monta par l’échelle jusqu’à la fenêtre de Laurette, mais Olivier l’avoit fermée tout bellement, de manière que, n’osant bucquer[1] contre, de peur d’être découvert par quelqu’un du château, il lui sembla qu’il lui étoit nécessaire de descendre. Il se glissa le plus bas qu’il put le long de la corde, qui n’étoit pas assez longue pour le mener jusqu’à terre ; et, par hasard, en passant par devant une fenêtre qui étoit remparée d’un treillis de fer, il y demeura attaché par son haut de chausses, qui fut traversé d’un gros barreau pointu, où il s’empêtra si bien qu’il lui fut impossible de s’en retirer.

Sur ces entrefaites, Francion, ne voulant pas manquer à l’assignation que sa maîtresse lui avoit donnée, s’étant approché du château, et ayant vu d’un autre côté Catherine avec une échelle à une fenêtre, il crut que c’étoit Laurette. Il fut prompt à monter jusqu’en haut et se mit à baiser cette servante. Qui est-ce ? lui dit-elle. Est-ce toi, Olivier, ou un autre ? Es-tu fol de faire tant de sottises en un temps où il nous faut songer diligemment à nos affaires ? Laisse-moi aller aider à monter à tes compagnons. Crois-tu qu’avec l’habit j’aie aussi pris le corps d’une fille ?

Francion, qui avoit déjà connu qu’il se méprenoit, en fut encore rendu plus assuré par ces paroles, qu’il oyoit bien n’être pas proférées par la bouche agréable de Laurette. Il ne s’amusa guère à chercher ce qu’elles vouloient signifier, parce qu’il s’imaginoit qu’il n’y avoit point d’intérêt. Il dit seulement à Catherine, qu’il reconnoissoit pour la servante, que sa maîtresse lui avoit accordé qu’il passeroit cette nuit-là avec elle, et qu’il étoit venu pour jouir d’un si précieux contentement. Catherine, qui avoit autant de finesse qu’il en faut à une personne qui exerce le métier dont elle faisoit profession, chercha en son esprit des moyens de se défaire de lui, sur l’imagination qu’elle avoit qu’il nuiroit à son entreprise. De le mener droit à la chambre de sa maîtresse, ainsi qu’il désiroit, elle ne le trouva pas fort à propos, d’autant qu’il lui sembla qu’il faudroit possible qu’elle fut employée à faire la sentinelle ou

  1. Heurter.