Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/262

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faisoit la noce ; et mon valet mit nos chevaux en une hôtellerie, en attendant que nous en eussions affaire. Nous allâmes droit chez le père de la mariée, un bon pitaut[1], à qui je demandai s’il n’avoit point affaire de mon service. Il me dit qu’il avoit déjà retenu un ménétrier, à qui il avoit baillé seize sols d’arrhes, sur et tant moins d’un écu qu’il lui avoit promis pour sa journée. Je ne vous demande qu’un demi-écu pour moi et pour mon compagnon, ce dis-je, et si nous ferons la cuisine, à quoi nous nous entendons des mieux, parce que nous avons été des premiers marmitons de l’hôtel de la Maque[2]. Nous trouvant à si bon marché par l’avis de sa femme, qui ne vouloit pas faire grande dépense, il s’accorda à nous prendre. L’autre ménétrier vint incontinent, et n’y eut pas une petite dispute entre lui et moi. Il disoit qu’on avoit parlé à lui dès le soir précédent, et qu’il étoit venu d’une lieue de là ; moi, je dis que je venois de huit lieues tout exprès, et qu’il y avoit quinze jours qu’un certain homme, passant par mon village, m’avoit retenu : ma cause, en ce point, fut trouvée la meilleure, et, les arrhes lui demeurant, il s’en alla néanmoins tout déconforté.

Nous nous mîmes à travailler à la cuisine, et Clérante, qui quelquefois vouloit sçavoir de ses gens comment l’on accommodoit toutes les entrées de ses repas, eût fait de très-bonnes sauces, s’il eût eu de l’étoffe pour en faire : nous nous contentâmes d’apprêter tout à la grosse mode, selon le conseil d’un surintendant qui venoit nous voir de fois à autre. Chacun étant revenu de la messe, la table fut couverte, et l’on s’assit pour dîner. La bourgeoise étoit là des plus avant, parce que c’étoit la fille de son vigneron qui se marioit : j’eus la commodité de la regarder attentivement, et je vous confesse que je n’ai guère vu de plus belles femmes. Le repas étant fini, le marié et la mariée se mirent devant une table chargée d’un beau bassin de cuivre ; à chaque pièce que l’on leur apportoit, comme en offrande, ils faisoient une belle révérence pour remercîment, en penchant la tête de côté. Ceux qui donnoient deux pièces d’argent étoient si convoiteux de gloire,

  1. Paysan.
  2. Maque, vieux mot qui signifiait vente. L’hôtel de la Maque était, selon le Dict. de Trévoux, un hôtel où les Picards venaient vendre leurs marchandises.