Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est-elle ? dit Clérante. C’est que les faucons fondent de violence sur la proie, ce dis-je, et les dames ne font que l’attendre. Aimée, qui se voit attaquer si vivement, dit, pour se défendre, que, par sa foi, l’on ne sçauroit autant priser la valeur de celles de son sexe comme elle vaut, et que ce qui empêche que l’on n’en ait des preuves notables, c’est que tous leurs ennemis sont si foibles, qu’il n’y a pas grande gloire à les surmonter. Quelles apparences y a-t-il aussi ? lui dis-je ; madame, vous avez des armes fées et enchantées comme celles que donnoit Urgande aux chevaliers errans ses favoris. Nous n’avons point d’armes que vous ne fassiez reboucher[1], et nous avons beau vous assaillir, nous ne vous offensons point, au contraire nous perdons toute force. Voilà les ordinaires excuses des vaincus, qui s’imaginent toujours que leurs vainqueurs ont usé de tromperie en leur endroit, dit Aimée ; vous pensez cacher votre couardise, mais vous travaillez inutilement. Eh ! pauvres guerriers, que feriez-vous, si nous usions d’armes offensives aussi bien que de défensives, dont nous nous contentons pour abaisser votre orgueil ? Par aventure serions-nous toujours les vainqueurs ? repartit Clérante ; car, en songeant à nous offenser d’un côté, vous perdriez le soin de vous défendre d’un autre, tellement que vous ne gagneriez pas la bataille. Les choses étant au même état qu’elles sont, nous aurions bien même la victoire si nous la désirions, et si vous méritiez la peine qu’il faut prendre à combattre votre mutinerie, qui vous fait plutôt subsister qu’un généreux courage. L’on en voit maintenant des preuves, en ce que vous êtes si opiniâtre que vous essayez de tenir tête au combat de la langue à deux champions qui vous peuvent facilement surmonter par la justice de leur cause, encore que vous ayez plus de fard en votre éloquence qu’eux. Pour moi, je n’aime point à combattre de paroles, j’aime mieux chamailler avec de bonnes armes, et montrer de vrais effets. Si vous voulez, je vous jetterai mon gant, selon l’ancienne coutume de chevalerie, pour vous donner promesse de venir, à tel jour qu’il vous plaira, éprouver ma valeur contre la vôtre ; je prends Francion pour le juge du camp. Vous faites un pas de clerc, cavalier d’amour, lui répondit

  1. Émousser.