Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/276

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Aimée, vous vous rendez indigne de la profession que vous faites, puisque vous n’en sçavez pas garder les statuts ; vous méritez d’être châtié par votre roi, qui vous a donné l’accolade : n’avez-vous pas appris qu’il ne faut point de juge aux combats que vous désirez d’entreprendre, lesquels ne se doivent faire qu’en cachette ? Ne verra-t-on pas bien, par l’état auquel vous vous en retournerez, si vous serez le vainqueur ou non ? Vous êtes infiniment raisonnable, lui dis-je alors ; battez-vous tant que vous voudrez, je ne me viendrai point mêler de juger des coups : l’heure vous est, ce me semble, fort propre pour vous joindre. Adieu, je m’en vais voir si notre faucon est retrouvé. Commencez quand il vous en prendra envie ; je donne au diable qui vous vient séparer.

En disant ceci, je leur fais la révérence avec une façon bouffonne, et, ayant fermé la porte après moi, je m’en retourne vers nos gens, avec qui je m’amuse à chasser. Clérante, suivant le bon conseil que je lui avois baillé, se met tandis à caresser sa guerrière, et lui demanda si elle est en résolution de venir aux prises. Elle, qui n’avoit tenu tout le discours précédent que par galanterie, se trouva du commencement bien étonnée de voir que l’on la vouloit assaillir tout à bon. Non, non, dit-elle, je n’aurois point d’honneur à vous vaincre maintenant, vous n’avez pas eu assez de terme pour vous équiper. Vous me pardonnerez, répondit Clérante, je n’eusse eu garde de parler du combat, si je ne m’y fusse trouvé propre.

Là-dessus, il la conduit dans une chambrette prochaine, et s’apprête à lui montrer sa vaillance. Alors, faisant semblant de n’entendre point raillerie, elle lui dit que, s’il la touche, elle criera, et qu’elle appellera son mari. Eh ! madame, répondit-il, ne vous souvenez-vous plus que vous avez dit tantôt qu’il ne faut point de juge en notre combat ? Je ne songeois pas à la malice, et vous y songiez, répliqua-t-elle. Cela est passé, n’en parlons plus, dit Clérante ; mais songez seulement que ceux qui viendront ici, me trouvant enfermé avec vous, croiront que, par une malice signalée, vous criez quand l’affaire est faite, comme si elle étoit à faire, afin de donner bonne opinion de vous ; ainsi vous serez entièrement diffamée et accusée d’hypocrisie, et recevrez beaucoup de peine sans avoir goûté aucun plaisir : au reste, je sçais fort bien que