Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/28

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avec une bague dont la pierre avoit un éclat si vif, que l’on apercevoit sa beauté malgré les ténèbres. Cette bonne rencontre lui bailla de la consolation pour tous les ennuis qu’il pouvoit avoir, et, sans se soucier si celui qu’il déroboit étoit mort ou vivant ni qui l’avoit mis en ce lieu-là, il s’en alla où le destin le voulut conduire.

Olivier, qui avoit en ses mains un butin bien plus estimable que celui de cet autre voleur, tâcha d’en jouir parfaitement, dès qu’il eut fermé les fenêtres de la chambre, par lesquelles il eût pu entrer quelque clarté qui l’eût découvert. Laurette, avec une mignardise affectée, s’étoit recouchée négligemment sur le lit, en attendant son champion, qui dressa son escarmouche sans parler autrement que par des baisers. Après que ce premier assaut fut donné, la belle, à qui l’excès du plaisir avoit auparavant interdit la parole, en prit soudainement l’usage, et dit à Olivier en mettant son bras a l’entour de son cou, le baisant à la joue, aux yeux et en toutes les autres parties du visage : Cher Francion, que ta conversation est bien plus douce que celle de ce vieillard radoteur à qui j’ai été contrainte de me marier ! que les charmes de ton mérite sont grands ! que je m’estime heureuse d’avoir été si clairvoyante que d’en être éprise ! Aussi jamais ne sortirai-je d’une si précieuse chaîne. Tu ne parles point, mon âme, continua-t-elle avec un baiser plus ardent que les premiers ; est-ce que ma compagnie ne t’est pas aussi agréable que la tienne l’est à moi ? Hélas ! s’il étoit ainsi, je porterois bien la peine de mes imperfections. La-dessus, s’étant tue quelque temps, elle reprit un autre discours : Ah ! vraiment j’ai été bien sotte tantôt d’éteindre la chandelle ; car qu’est-ce que je crains ? Ce vieillard est sorti de céans afin d’aller, je pense, se servir des remèdes que tu lui as appris pour guérir ses maux incurables. Il faut que je commande à Catherine qu’elle apporte de la lumière : je ne suis pas entièrement de l’opinion de ceux qui assurent que les mystères de l’amour se doivent faire en ténèbres ; je sais bien que la vue de notre objet ranime tous nos désirs. Et puis, je ne le cèle point, ma chère vie, je serois bien aise de voir l’émeraude que tu as promis de m’apporter ; je pense, tu as tant de soin de me complaire, que tu ne l’as pas oubliée. L’as-tu ? dis-moi en vérité ?