Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/317

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violons dans la salle, qui jouèrent de toutes sortes de danses. Toutes les plus belles femmes des villes et des villages de là à l’entour se trouvèrent dans le château avec quelques filles remplies de toutes perfections, et quelques hommes qui sçavoient des mieux danser. Les cadences, les pas et les mouvemens des courantes, des sarabandes et des voltes échauffoient les lascifs appétits d’un chacun. De tous côtés l’on ne voyoit que baiser et embrasser. Lorsque la nuit fut entièrement venue, l’on couvrit la table d’une magnifique collation qui valoit bien un souper ; car de première entrée il y avoit force viandes des plus exquises, desquelles ceux qui avoient faim purent se rassasier. Les confitures étoient en si grande abondance, que, chacun en ayant rempli son ventre et ses pochettes, il y en demeura beaucoup dont l’on fit une douce guerre, en les ruant de tous côtés. Les tambours, les trompettes et les hautbois commencèrent à jouer alors dans la cour, et les violons en un lieu proche de la salle, si bien qu’avec les voix des assistans ils rendoient un bruit nonpareil. La confusion fut si grande et plaisante, que je ne vous la sçaurois représenter. Il me seroit difficile de nombrer combien l’on dépucela de filles et combien l’on fit de maris cornards. Parmi le tumulte d’une si grande assemblée, qui empêchoit de voir les absens, plusieurs s’évadèrent avec leurs amantes pour aller contenter leurs désirs. Il y avoit des femmes qui avoient là donné assignation à leurs serviteurs, comme en un lieu le plus convenable qu’elles pussent élire, et où elles n’étoient point aux dangers qu’elles craignoient dedans leurs maisons. Raymond, qui désiroit que le logis fût entièrement consacré à l’amour, avoit commandé que l’on laissât ouvertes plusieurs chambres bien tapissées, pour servir de refuge aux amoureux ; elles ne manquèrent pas d’être bien habitées. Les six chevaliers et leurs dames ne bougèrent de la salle, quant à eux, ayant assez de loisir de prendre leurs ébats ensemble en une autre heure. Ils cherchoient chacun leur aventure d’un côté et d’autre, en folâtrant avec un nombre infini de plaisirs. Francion manie en tous endroits toutes les femmes qu’il trouve. Il en prit une des six du château, qui s’appeloit Thérèse, et l’ayant renversée sur une longue forme[1]

  1. Sorte de banc sans dossier.