Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/326

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qu’il en devoit penser, et avoit été la chercher en beaucoup d’endroits, jusques à tant qu’un maudit manant, qui avoit apporté de la volaille chez Raymond, lui eut appris qu’il l’y avoit vue.

Quand il fut entré dans la cour, il vit Laurette qui étoit sur une porte avec Thérèse : incontinent il descendit de cheval, mais ce ne fut pas avec peu de peine ; et sa femme, l’apercevant, prit sa compagne par la main et s’en alla s’enfermer dans une chambre. Il la poursuivit de furie jusque-là ; et, trouvant visage de bois, il commence à vomir son fiel par injures : Quel diantre de pèlerinage as-tu fait ? ce dit-il ; hé ! chienne, l’on m’a averti de la bonne vie que tu mènes céans ; par la morbieu ! si je te tiens une fois, je te punirai comme il faut : tu as ici goûté à cœœur saoûl des plaisirs avec les hommes, et je m’assure qu’il n’y a pas jusqu’aux palefreniers qui ne t’aient passé par-dessus le ventre. Mais désormais je te ferai jeûner, malgré que tu en aies, et tu n’auras plus de moi ta pitance ordinaire. Comment ! tu es cause que l’on ne fait plus d’état de moi ; chacun m’appelle un sot et un janin, et dit que je n’ai point de courage de t’endurer tant de fredaines : bref, je suis entièrement déshonoré. Ah ! mon Dieu, quelle injustice, que l’honneur d’un homme dépende du devant de sa femme ! tu en payeras les pots cassés, je t’en réponds ! Raymond et, quelques autres accoururent au bruit qu’il faisoit ; et, voyant que Laurette ne parloit en façon quelconque, lui dirent qu’elle n’étoit pas au château assurément, et qu’il avoit eu quelque illusion. Après cela, ils firent tant, qu’ils l’emmenèrent tout au fond du jardin, où ils le forcèrent de jouer une petite partie aux quilles ; puis ils lui firent avaler sa tristesse avec plusieurs verres de vin, en goûtant dessous une treille. Notez qu’en jouant et en goûtant il n’ôta point son manteau ni son épée : il croyoit qu’il ne se falloit point désarmer pour tenir sa gravité devant cette noblesse. Or il étoit très-agréable à voir en cet équipage, car il s’étoit contenté de mettre son écharpe à son col, comme un collier d’ordre, sans y passer le bras gauche ; tellement que l’épée lui revenoit toujours sur le devant et l’importunoit fort. Il ne faisoit autre chose que la repousser en arrière et retrousser son manteau, qui ne lui apportoit pas moins d’incommodité. Le goûter fini, il s’entretailloit à tous coups avec ses éperons