Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/33

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juger ce qui en arrivera. Je ne te sçaurois secourir, répondit Olivier, car il y a une grille de fer entre nous deux. Ma foi, tu fais bien de ne vouloir plus te tenir davantage en l’air, car c’est un élément qui t’est tout à fait contraire, et tu ne mourras jamais autre part ; c’est ta prédestination. Tu nous as donc trahis ainsi ? interrompit Catherine ; perfide ! si je tenois ton cœur, je le dévorerois maintenant. Ne parle point de tenir, lui répondit Olivier, car tu ne peux plus jouir de tes mains. Laissons-les là, dit Laurette ; qu’ils se plaignent tout leur saoûl, personne ne viendra à leur secours que les sergens et le bourreau.

Ayant tenu ce discours, elle convia Olivier de remonter en sa chambre, où ils ne furent pas sitôt, qu’il fut ravi de cette beauté, qu’il ne pensoit pas être si merveilleuse qu’elle étoit lorsqu’il en avoit joui sans lumière. L’ayant considérée attentivement, il prit la hardiesse de cueillir sur sa lèvre quelques baisers, qui ne lui furent point refusés, parce que Laurette, le trouvant de bonne mine, n’étoit pas fâchée qu’il recommençât le jeu où il avoit déjà montré qu’il étoit des plus savans. Lui, qui lisoit ses intentions dedans ses yeux mourans et lascifs, ne laissa pas échapper la favorable occasion qu’il avoit de tâter derechef d’un si friand morceau.

Ils se mirent après à discourir de plusieurs choses. Olivier parla principalement de la bonne fortune qu’il avoit eue, et fit des sermens à Laurette qu’il n’estimoit rien au prix, non-seulement celles qui lui pouvoient arriver, mais celles qui pouvoient venir en son imagination. Vous avez beaucoup de sujet de remercier le ciel d’une chose, dit Laurette, c’est de la faveur qu’il vous a départie, en faisant que, lorsque je vous ai vu tantôt sur le milieu de l’échelle, vous prenant pour un mien serviteur, je me suis venue mettre sur une chaire en attendant que vous fussiez monté jusques ici ; car, si je me fusse tenue à la fenêtre, j’eusse bien vu que vous n’étiez pas celui que j’attendois, et, je ne vous le cèle point, qu’infailliblement vous eussiez été très-mal reçu de moi, au lieu que vous l’avez été si bien, que vous ne vous en sçauriez plaindre avec raison. Je ne doute point que vous ne m’eussiez maltraité, repartit Olivier, et, si je ne m’en offense aucunement, car quelle bienveillance pourriez-vous avoir pour un homme inconnu qui vous surprend, au lieu de celui que vous avez dès longtemps pratiqué ?