Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’a été que pour ce sujet que vous avez failli maintenant à votre entreprise, de quoi je suis très-aise pour le bien de ce galant gentilhomme. Mais, or çà, apprenez-moi à la requête de qui c’est que vous le vouliez rendre prisonnier. D’un marchand de cette ville, monsieur, ce dit l’un. Je le connois bien, dit du Buisson ; c’est un affronteur : il me vendoit de méchantes étoffes fort cher et me faisoit trouver un homme qui me les rachetoit à vil prix, de son argent même. Je m’en vais gager qu’il faisoit si bien que tout retournoit à sa boutique. Je ne m’en souciois point, pourvu que j’eusse l’argent dont j’avois affaire, et ne songeois point à l’avenir. Il y a toujours eu presse à me prêter, d’autant que l’on se fie sur les grandes richesses de mon père. Francion, ayant dit un mot à l’oreille de du Buisson, commanda à un valet de la taverne d’aller au logis du marchand lui dire, de la part des sergens, que le jeune gentilhomme qui lui étoit redevable étoit tout prêt à le payer, et qu’il s’en vînt le voir promptement. Le marchand venu, le souper fut mis sur la table, et il fallut qu’il s’assît avec les sergens pour manger comme les autres, car l’on remit le payement après le repas. Lui et ses camarades burent d’autant, de sorte que les fumées commençoient à leur monter au cerveau. Francion donne à un laquais d’une certaine poudre qu’il avoit apportée parmi ses autres curiosités, laquelle, étant mêlée parmi le vin qu’ils burent tout le dernier, les rendit tellement assoupis, qu’il sembloit qu’ils eussent plutôt une âme de brute qu’une âme d’homme. Leurs paroles n’avoient plus aucune raison, et l’on leur faisoit tout ce que l’on vouloit et sans qu’ils y songeassent seulement. Francion, les voyant en cet état, fouille dans leurs pochettes, prend les promesses que le marchand avoit apportées, et les requêtes, et les décrets de prise de corps, que les sergens avoient, puis il brûle tout devant du Buisson, qui lui fait mille remercîmens du plaisir qu’il reçoit de lui.

Là-dessus, Francion appelle le tavernier et se plaint à lui de ce qu’il leur a baillé du vin tellement brouillé, que ces pauvres gens de ville, qui n’étoient pas accoutumés à boire, comme ceux de sa troupe, s’étoient enivrés, encore qu’ils n’eussent pas bu davantage que les autres. Ce sont des galans, monsieur, répondit-il, pour le moins ces deux sergens que vous voyez. Ils étoient déjà à demi ivres quand vous les