Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/355

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preuves. La plus grande que je vous puisse faire voir est de ne vous flatter en aucune manière, encore qu’ordinairement les hommes soient fort aises de l’être, suivant la corruption du siècle. Je vous dirai donc les défauts que vous avez, non point pour vous les reprocher par inimitié et pour accroître votre colère, mais pour tâcher de vous rendre désormais agréable à ceux à qui vous déplaisez. Il n’en faut point mentir, vous êtes fort chiche, et l’homme chiche se rend odieux à tout le monde, parce qu’il cache en lieu secret les biens dont chacun a affaire et que chacun désire. Il ne les met point en usage. Il est impossible d’en gagner de lui ; car il n’achète que le moins qu’il peut, et ne met guère d’ouvriers en besogne, qu’il ne se voie en un état qu’il ne s’en puisse passer. Il ne donne point de récompense à ceux qui l’ont fidèlement servi. Ses amis ne sont jamais bien venus à sa maison. Il leur fait une si piteuse chère, qu’il leur montre l’envie qu’il a de ne les y voir plus. Vous avez tous ces vices-là, je ne vous le cèle point. Considérez-vous avec une sévérité aussi grande qu’il la faut à un homme qui se juge soi-même : vous reconnoîtrez que je ne vous accuse point à tort. Représentez-vous donc maintenant si vous n’êtes pas misérablement privé du plus grand plaisir de la vie, qui est d’avoir beaucoup d’amis. Ne vous faites-vous pas un tort extrême ? Car le plus souvent vous mourez de faim auprès de vos richesses, et avez si peur de les voir dépensées, que vous n’osez acheter ce qui vous est très-nécessaire. Le pis que j’y vois, c’est que vous contraignez à vous désobéir ceux qui vous doivent tout respect et de qui les volontés sont tenues de dépendre de la vôtre. Oui, vous y forcez vos propres enfans, et je l’ose bien dire ainsi : vous avez un fils en âge de voir le monde, et vous ne lui donnez point ce qu’il doit avoir, selon vos moyens. Vous avez une fille autant capable de donner de l’amour comme d’en recevoir, et cependant vous ne parlez pas de la marier ; si bien qu’elle a été forcée de songer elle-même à se pourvoir. Je ne sçais pas qui vous a dit cela, interrompit le sieur du Buisson, mais il est certain que j’ai toujours eu envie de la marier au fils d’un riche marchand que je connois. Ne voilà-t-il pas votre maladie ? reprit Francion, vous ne cherchez que les richesses, et ne vous enquérez point si celui que vous lui voulez bailler lui est agréable : n’en parlons plus,