Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/354

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ces paroles, du Buisson appela un de ses valets, qui apporta de la chandelle, et sa fille, ayant en même temps fait cacher son serviteur dessous le lit, mit sa cotte et vint ouvrir en frottant ses yeux, comme si elle n’eût fait que de se réveiller. Son père s’étonne en la voyant, et lui demande si elle n’a point entendu de bruit dedans sa chambre. Elle répondit que nenni : nonobstant, il cherche partout, et vient à la fin à regarder dessous la couche, où il aperçoit le compagnon, qu’il connoissoit pour son voisin. Il eût estimé qu’il se trouvoit là pour voler les besognes de son coffre, plutôt que pour voler l’honneur de sa fille, s’il ne se fût découvert, croyant qu’il en étoit besoin. Monsieur, lui dit-il, je vous supplie de me pardonner la faute que l’amour m’a fait commettre ; vous sçavez que je ne suis pas d’un lignage si abject que ce vous soit une honte de m’avoir pour gendre : mademoiselle votre fille ne m’a point dédaigné : faites-moi cet honneur que de m’avoir pour agréable. M. du Buisson n’attendit pas qu’il eût achevé sa harangue ; il étoit en une si prodigieuse colère, que, sans Francion, qui lui retint le bras, il lui alloit passer son épée au travers du corps. Comment, lui dit-il, êtes-vous si hardi que de venir déshonorer ma maison ? Ah ! je vous proteste que je vous en ferai repentir. Ah ! monsieur, dit-il en se retournant vers Francion, je vous prie de me laisser en liberté, si vous me voulez donner quelque témoignage d’amitié. Permettez que je prenne la vengeance de ce misérable, qui ne doit mourir que de ma main. Il faut que je donne pareillement la mort à cette maudite engeance que je suis marri d’avoir mise au monde. Mon cher cousin, dit Francion, tant que je serai ici, vous ne leur ferez aucun mal : je veux être l’avocat d’une si juste cause comme la leur. Là-dessus, ayant tiré l’épée des mains de du Buisson, qui n’étoit pas si fort que lui, il lui remontra qu’il n’y avoit point de remède à ce qui étoit fait, sinon de l’autoriser ; et que, s’il faisoit autrement, il serait cause que le déshonneur, qu’il craignoit tant, tomberoit dessus sa maison. Du Buisson, ayant un peu goûté ses raisons, apaisa les premiers mouvemens de sa colère, et s’assit dans une chaire auprès de Francion, qui, lui prenant les mains en signe d’amitié, lui parla de cette sorte : Mon cher cousin, je vous aime tant, que je veux chercher en tout et partout les occasions de vous en donner des