Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/368

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En peu d’heures ils arrivèrent au château, où ils furent très-bien reçus par celui qui en étoit le capitaine. Francion, voyant que l’on prenoit des entretiens qui prolongeoient le temps, en étoit extrêmement marri, car il brûloit d’impatience de voir les merveilles dont on lui avoit parlé, il le dit tout bas à Valère, qui mit la compagnie sur ce sujet. Aussitôt le capitaine, qui avoit le mot du guet, prend un trousseau de clefs, et, après beaucoup de chemin, le fait entrer dans une forte tour, où il dit que sont enfermées les plus grandes raretés du lieu. Il leur montre une grande chaire, toute ronde, fort antique, qui a un marchepied ; il leur assure qu’à toutes heures, lorsque l’on est assis dedans, l’on entend un certain bruit harmonieux qui vient, ce semble, de dessous le plancher, mais que l’on n’en peut trouver la cause, si l’on ne l’impute à quelques démons qui habitent en ce lieu-là. Ergaste s’en moque, et dit que c’est une imagination fantasque, et qu’il ne sçauroit ajouter foi à une chose si extraordinaire, et toute l’assistance en dit de même que lui. Éprouvez-le, dit le capitaine, vous connoîtrez la vérité. Alors ils commencèrent à s’asseoir l’un après l’autre dans la chaire, et, en ressortant tout ébahis, dirent tous que véritablement ils y avoient ouï la plus douce musique du monde. Francion, qui demeuroit tout le dernier et se rioit de ces contes-là, s’assit au même lieu par complaisance ; mais le capitaine, à l’instant, se tenant tout proche, tourna une cheville dont il lâcha un ressort qui fit couler la chaire et celui qui étoit dessus jusques en une basse-fosse, où il fut longtemps si étonné qu’il ne bougeoit de sa place. Ergaste et Valère, le voyant si bien pris, remercièrent le capitaine de la bonne assistance qu’il leur avoit donnée, et le prièrent de la continuer en faisant mourir celui qui étoit en ses prisons, quand il lui sembleroit à propos. De là ils s’en retournèrent vers Nays, qui étoit en une petite bourgade à la dînée. Elle s’enquit ce qu’étoit devenu Francion, vu que l’on disoit qu’il n’étoit point au lieu où tous ses gens étoient logés. Ce valet, dont nous avons parlé tantôt, s’approcha d’elle, et lui dit : Madame, il a repris secrètement le chemin de la France, et, avant que de partir, m’ayant rencontré, m’a donné charge de vous dire qu’en quelque lieu qu’il puisse être il prendra toujours la qualité de votre serviteur. Au reste, ne vous étonnez point