Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/38

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comment, dit le curé, n’avez-vous point couché chez vous cette nuit ? Vous ont-ils porté en ce lieu-ci, sans que vous en ayez senti quelque chose ? Ne sont-ce point des hommes mêmes qui vous ont accommodé de la sorte ? Valentin ne dit plus mot alors, parce qu’il songea que celui qui parloit à lui pouvoit être un démon qui avoit pris une voix pareille à celle de son curé pour le tromper ; car il avoit lu que les mauvais esprits se transforment bien quelquefois en anges de lumière. Cela fit qu’il recommença ses conjurations, et qu’il dit à la fin : Je ne veux point parler à toi, prince des ténèbres ; je te reconnois bien ; tu n’es pas mon curé, dont tu imites la parole. Je vous montrerai bien qui je suis, dit le curé en lui ôtant le capuchon. Eh quoi, sire Valentin, avez-vous perdu le jugement, pour croire que tous ceux qui parlent à vous sont des esprits ? Pourquoi vous forgez vous ces imaginations ? Faut il que je vous mette au nombre de mes ouailles égarées ?

Valentin, jouissant de la clarté du jour, reconnut que tous ceux qui étoient autour de lui étoient de son village, et perdit tout à fait les mauvaises opinions qu’il avoit conçues, quand il vit qu’ils se mettoient à le délier.

Le curé voulut sçavoir de lui par quel moyen il avoit été mis là. Il fut contraint de raconter les enchantemens que lui avoit appris Francion, et de dire aussi pour quel sujet il les avoit voulu entreprendre. Quelques mauvais garçons, en ayant entendu l’histoire, s’en allèrent la publier partout à son infamie ; si bien qu’encore aujourd’hui l’on s’en souvient, et, lorsqu’il y a quelqu’un à froide queue, l’on lui dit par moquerie qu’il s’en aille aux bains de Valentin.

Après que le bon curé eut fait plusieurs réprimandes à son paroissien, sur la pernicieuse curiosité qu’il avoit eue, il le mena voir le plaisant spectacle qui étoit au château, dont Valentin, aussi étonné que les autres, ne put rendre aucune raison. À l’instant, un homme de bonne conversation et de gentil esprit, se trouvant là, dit : Vous voilà bien empêchés, messieurs, vous ne vous pouvez imaginer la cause de ce que vous apercevez : je m’en vais vous la dire en trois mots. Ce compagnon, que vous voyez pendu à l’échelle, étoit amoureux de Catherine : il la vouloit aller voir sans doute ; mais, pour lui montrer qu’il perdoit ses peines, elle lui a découvert son devant, lui faisant connoitre qu’elle n’est pas ce qu’il