Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/402

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noblesse, prenant l’habit de paysan. Francion commença de s’admirer avec ce beau vêtement qui lui plaisoit plus que l’autre ; et, ayant aussi acheté l’épée de ce brave guerrier, il fut bien empêché à quoi il la pendroit, vu que le soldat ne lui vouloit point vendre son baudrier. Il disoit qu’il le vouloit réserver, pour lui servir toujours de témoignage comme il venoit de la guerre, et qu’il y en avoit bien de ses compagnons qui, ayant vendu leurs mousquets, se contentoient de rapporter leurs fourchettes. Enfin, Francion s’avisant qu’il avoit une grosse lesse, dont il avoit quelquefois attaché son chien, faisant l’office de berger, elle lui servit pour pendre son épée en écharpe. Avec cela il avoit un chapeau pointu à petit bord, tellement qu’il avoit une façon bien grotesque ; ce qui étoit une chose qui lui agréoit fort. Il fit son voyage moitié à cheval, moitié en charrette, selon les occasions qu’il trouvoit, mais avec le plus de diligence qu’il lui fut possible ; et il ne dépensa aussi son argent qu’avec prudence et modération. Je ne veux point vous dire s’il passa des rivières ou des montagnes, s’il traversa des villes ou des bourgades : je ne suis pas en humeur de m’amuser à toutes ces particularités : vous voyez que je ne vous ai pas seulement dit en quel lieu Nays étoit aux eaux, si c’étoit à Pougues[1] ou autre part : je ne vous ai point appris le nom de la forteresse où Francion fut prisonnier, ni celui du village où il fut berger, ni aussi celui de la ville où demeuroit Joconde. C’est signe que je n’ai pas envie que vous le sçachiez, puisque je ne le dis pas ; et que l’on ne s’aille pas imaginer que ce soit une faute de jugement si je ne mets pas tout ceci. Contentons-nous qu’après quelques

  1. Chef-lieu de canton du département de la Nièvre. Aux environs se trouvent des eaux minérales froides, Les eaux de Pougues, dit le docteur James dans son Guide pratique des eaux minérales, « un instant oubliées, viennent de se placer de nouveau, par de très-belles cures, au premier rang de nos stations thermales. Jamais, du reste, eau minérale n’avait été visitée par plus illustres clients. Il suffit de citer Henri III, Catherine de Médicis, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, le prince de Conti, etc., qui tous, dans leur correspondance, ont rendu le meilleur témoignage de l’efficacité de ces eaux. Henri IV surtout, qui s’y rendit plusieurs fois, avait pour elles une prédilection toute particulière. » C’est principalement pour combattre la gravelle que leur emploi est ordonné.