Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/42

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je chérirois uniquement. Votre tempérance est remarquable, repartit le barbier, je n’ai pas les ressorts de l’âme si fermes qu’ils puissent ainsi commander à mon corps ; car je vous assure bien que, quand Galien même m’auroit dit que l’usage du vin me seroit nuisible, je ne m’en priverois pas, et que, si, sans en avoir, l’on me mettoit auprès d’une fontaine d’eau, je ne laisserois pas de mourir de soif. Mais, monsieur, poursuivit-il, il n’est pas croyable que vous ne sentiez maintenant du mal, et néanmoins vous ne vous pouvez pas tenir de gausser. Si vous me connoissiez particulièrement et si vous sçaviez de quelle sorte un homme doit vivre, vous ne trouveriez rien d’étrange en cela, lui répondit Francion ; mon âme est si forte, qu’elle repousse facilement toute sorte d’ennuis et jouit de ses fonctions ordinaires parmi les maladies de mon corps. Monsieur, reprit le barbier en souriant, vous me pardonnerez si je vous dis que vous m’obligez à croire que l’opinion que l’on a de vous en ce village-ci est véritable, qui est que vous êtes très-sçavant en magie ; car autrement vous ne supporteriez pas si patiemment que vous faites le mal que vous avez. L’on dit même (je ne le sçaurois croire pourtant) que tout ce qui est arrivé cette nuit chez Valentin s’est fait par votre art ; que vous avez métamorphosé la servante du logis en garçon ; que vous l’avez rendue muette, et que vous n’avez pas véritablement une plaie à la tête, mais que vous abusez nos yeux. Ce qui donne ces pensées-là aux bonnes gens, c’est que l’on n’a pu trouver la cause de pas un de tous ces succès.

Cette plaisante imagination mit tellement notre malade hors de soi, qu’il pensa mourir de rire. Là-dessus il acheva de s’habiller, et s’assit à table avec le barbier, qui ne demanda pas mieux que de dîner avec lui. Or çà, lui dit Francion, ne savez-vous point si je suis maintenant en la bonne grâce de Valentin ? En quelle manière parle-t-il de moi ? Je ne vous le cèle point, répondit le barbier, il en parle comme du plus méchant sorcier qui soit au monde. Il dit qu’au lieu que vos secrets lui devoient apporter quelque bien ils lui ont causé beaucoup de maux. Encore qu’il y ait longtemps qu’il soit assuré de cela, il n’a pas laissé d’essayer tout maintenant s’il se porteroit plus vaillamment au combat contre sa femme qu’il n’a accoutumé de faire ; mais jamais il n’a eu la force :