Avez-vous laissé perdre une chose pour laquelle il y a cinquante ans que les Hollandois font la guerre au roi d’Espagne ? Vous aimez quelque beauté qui au fort du combat feroit tomber les armes des mains à M. du Maine[1]. Je vous avoue une partie de ce que vous me dites, repartit Francion, mais non pas que je sois semblable aux Vénitiens ni aux Hollandois. Ces comparaisons sont trop éloignées. Mais, je vous supplie, montons à la chambre du comte Raymond, qui sera très-aise de vous voir. Ce sera là que nous deviserons chacun de nos affaires.
Là-dessus, du Buisson et Audebert, qui étoient avec Hortensius, montèrent sans se faire prier ; mais, pour lui, il ne voulut jamais passer devant Francion, tant il étoit courtois. Monsieur, ce disoit-il, allez devant ; il vous faudroit une plus grande vertu que la patience pour aller après moi : j’ai été malade pendant mon voyage ; je n’ai plus de jambes que par bienséance ; mon corps se porte assez mal pour être celui d’un pape, et, à trente-six ans, je ne suis pas moins ruiné que le château de Bicêtre[2] : je suis plus vieil que ma grand’mère et aussi usé qu’un vaisseau qui auroit fait trois fois le voyage des Indes. Mais, monsieur, lui dit Francion en se riant, si vous disiez que vous êtes aussi usé que la marmite des Cordeliers, qui leur sert depuis six-vingts ans, la similitude ne seroit-elle pas meilleure ? Ma foi, ne vous moquez pas, reprit Hortensius ; ni dans les déserts de l’Afrique ni à la foire Saint-Germain on ne voit point de monstre si cruel qu’a été ma maladie. Pour vous, vous êtes d’une si forte matière, que rien n’est capable de l’altérer, si la chute d’une montagne ne vous renversoit : vous êtes capable de peupler des colonies. Tout cela ne sert de rien, dit Francion, vos excuses ne sont pas valables ; si vous ne montez pas facilement, je vous aiderai en allant après vous. Eh ! allons, monsieur, ne sçavez-vous pas qu’il n’y a point d’honneur que je ne doive à votre mérite ? Vous m’avez pris ce que je vous voulois dire,