Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/434

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qu’il fût inutile ? Songez à votre ancien gagne-pain, je vous supplie, et considérez que le latin n’a rien à démêler avec le passement.

Francion ne disoit tout ceci qu’en riant, si bien qu’Hortensius ne se trouvoit point offensé et continuoit d’étaler son éloquence, dont le nouveau style étonnoit tout le monde. Il vint à parler des plaisirs dont il jouissoit à Rome, avec des discours étranges. Il dit que l’on jetoit dans sa chambre tant d’eau de senteur, qu’il falloit qu’il se sauvât à la nage ; que les muscats qu’il mangeoit étoient si gros, qu’un seul grain étoit capable d’enivrer toute l’Angleterre ; et, comme l’on parloit de la maîtresse de Francion, il dit qu’il l’estimoit heureuse de l’avoir captivé, et qu’il préféreroit cette victoire à toutes celles du prince d’Orange et du roi Henri le Grand ; mais qu’il avoit peur, en voyant Francion, de devenir amoureux comme lui, et qu’il ne pouvoit regarder un gueux sans prendre la gale ; au reste, qu’il craignoit bien d’aimer quelque dédaigneuse qui le jetât dans un précipice et lui dît : Dieu te conduise !

Après cela, l’on vint à parler des livres, et il dit qu’il y en avoit de si mal faits, qu’après la bière et les médecines il n’avoit jamais rien trouvé de si mauvais ; que, pour lui, il cherchoit tous les remèdes imaginables contre l’ignorance du siècle, et qu’il avoit eu l’idée de l’éloquence. Là-dessus, il usa de tant de termes extraordinaires, que Francion ne les put davantage souffrir, sans lui demander s’il falloit parler comme il faisoit, vu qu’il n’avoit rien en son style que des hyperboles étranges et des comparaisons tirées de si loin, que cela ressembloit aux rêveries d’un homme qui a la fièvre chaude ou au langage de l’empereur des Petites-Maisons. Quoi ! reprit Hortensius, trouvez-vous des taches et des défauts dans le soleil ? Sçachez qu’il y a longtemps que j’ai passé les autres, et que j’ai trouvé ce qu’ils cherchent. Je laisse errer ceux qui ne le croiront point parmi les Turcs et les infidèles, qui sont la plus grande partie du monde. Regardez bien à ce que vous dites, lui repartit du Buisson, on en tireroit conséquence que, si le pape et les capucins ne louoient vos ouvrages, ils seroient aussi bien Turcs qu’Amurat et Bajazet, ce qui est fort dangereux ; pensez-vous que ce soit un article de foi de croire que vous écrivez bien ? Taisez-vous, esprit vulgaire, lui ré-