Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/466

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à la courte paille à qui la gagnera, ou bien l’on fera gagner le procès à celui qui sera le plus sçavant. Quant est des lois de la guerre, personne ne sera reçu capitaine s’il ne sçait tout par cœœur l’Amadis[1] et le Chevalier du soleil[2] ; car on ne peut avoir du courage sans cela. Au reste, j’ai beaucoup de stratagèmes pour mettre en déroute les Turcs : je ferai monter des hommes sur des chariots qui paroîtront tout en feu ; il y aura là des boîtes, des lances à feu, des saucissons, des pétards et force fusées à étoiles et à serpens, afin que ces barbares, voyant que j’imiterai le tonnerre, les comètes et les astres, croient que je ferai quelque chose de plus grand que Mahomet. J’aurai même de grands cercles de cristal, au derrière desquels on mettra de certaines lumières, qui les feront luire comme l’arc-en-ciel ; ainsi je contreferai ce bel Iris, ce brave rien qui est toutes choses, cette belle arbalète divine, cette riche arcade, qui est non pas le pont au Change de Paris, mais le pont aux anges de Paradis, tout éclatant d’orfévrerie céleste. Combien ces visions troubleront-elles mes ennemis, avec le bruit effroyable que feront mes gens, qui vaincront, et ceux qui seront vaincus !

Les artifices d’Hortensius furent trouvés excellens, mais Audebert ne laissa pas de lui dire qu’il s’étonnoit comment il se pouvoit résoudre à tant de combats, vu qu’autrefois il lui avoit ouï dire qu’il n’iroit jamais à la guerre que lorsque les mousquets seroient chargés de poudre de Chypre et de dragées de Verdun, et amorcées de poudre d’iris. Il répondit qu’il ne craignoit plus les alarmes, pource qu’il avoit le droit de son côté, et que les ruses et la force ne lui manqueroient pas.

Tandis qu’il parloit ainsi, les ambassadeurs devisoient en-

  1. L’Amadis de Gaule, qui, comme l’Amadis de l’Étoile, l’Amadis de Trébizonde et autres, procède du poëme d’Amadis, dont les quatre premiers chants datent du quatorzième siècle et sont de Vasco Loveira. Le reste est dû à divers auteurs.
  2. L’admirable histoire du chevalier du Soleil, où sont racontées les prouesses de ce guerrier et de son frère Rosiclair, avec les aventures de la princesse Claridiane et autres grands seigneurs ; traduite du castillan en françois par Franç. de Bosset et Loüis Douet, Paris, 1620, 8 vol.