Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/468

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sa folie avoit déjà couru dedans Rome. Les uns en rioient, les autres s’en étonnoient. Pour lui, il crut que cette multitude n’étoit là que pour l’admirer ; et, étant fort satisfait de sa personne, il s’alla enfermer dans sa chambre avec son historiographe le plus tôt qu’il lui fut possible, afin de lui faire lire ce qu’il avoit écrit de ses discours, pour corriger les lieux où il avoit manqué.

Cependant Francion entretint sa maîtresse des plaisantes extravagances de ce nouveau roi, et, pour réparer le temps qu’ils avoient été à tenir une contenance sérieuse devant lui, ils en rirent alors tout leur soûl. Mais, comme ce n’étoit pas là ce qui les touchoit le plus, ils changèrent bientôt de propos : Francion vint à parler de la violence de sa passion ; Nays en fut si touchée, que, par un transport d’amour, elle tira d’un petit coffre le portrait de Floriandre, qu’elle avoit encore, et le lui donna pour en faire ce qu’il voudroit, lui montrant qu’elle ne vouloit garder aucune chose qui la pût faire songer à d’autres qu’à lui. Il fit quelque difficulté de le prendre, disant qu’il ne doutoit point de sa fidélité, et qu’il n’étoit pas de si mauvaise humeur que d’entrer en jalousie. Néanmoins il le retint, et en fit un présent à Raymond dès qu’il fut de retour. Encore que Nays, étant veuve, fût maîtresse de ses actions, elle demanda conseil à ses parens sur son mariage ; et, bien qu’ils ne fussent guère d’avis qu’elle épousât un étranger, ils feignirent de le trouver bon, pource qu’ils la connoissoient si entière en ses résolutions, qu’elle ne les quittoit pour aucune remontrance. Francion en avoit bien déjà visité quelques-uns avec Dorini, et leur avoit donné des preuves de ce qu’il étoit ; mais leur naturel n’étoit pas assez bon pour se laisser gagner du premier coup. Toutefois l’affaire en étoit venue là que le mariage se devoit faire dans six jours. Notre amant trouvoit ce terme bien long, et languissoit pendant cette attente ; si bien que c’étoit avec raison qu’il cherchoit du divertissement parmi les rêveries d’Hortensius. L’ayant été retrouver, il le fit souper avec la même cérémonie du dîner, et, la nuit étant venue, il le fit mettre au lit. Les ambassadeurs lui demandèrent quand c’étoit qu’il vouloit partir pour aller prendre les rênes de la Pologne, qui soupiroit après sa présence. Il répondit que ce seroit quand ils voudroient ; mais Francion intervint là-dessus, et lui dit qu’il s’al-