Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/49

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Qu’étoit-il besoin de sçavoir tant de choses inutiles ? Aussi je ne m’en informai point davantage. Tout ce que je tâchai de faire fut d’accoster la gentille Laurette. De vingt fois que je passois par devant son logis, il n’y en avoit guère qu’une qui me fut favorable pour me la faire voir. Un soir, la trouvant toute seule à sa porte, je l’abordai gracieusement, et lui demandai si elle ne savoit point où demeuroit un je ne sais quel homme, dont j’inventois le nom tout exprès. Quand elle m’eut répondu qu’elle ne le connoissoit point, je contrefis l’étonné, disant qu’il m’avoit assuré lui-même que son logis étoit en cette rue-là, et je ne quittai pas pourtant cette mignonne. Elle, qui se doutoit presque de mon dessein, entama tout incontinent un autre discours, et me demanda si je n’étois pas de son quartier, vu qu’elle m’y voyoit souventefois. Je lui répondis que non, et lui dis résolument qu’elle avoit tant de charmes qu’elle m’y attiroit tous les jours, bien que je fusse d’un lieu fort éloigné. Elle me répliqua qu’il falloit que ce fut un autre sujet plus puissant qu’elle qui m’y amenât ; puis elle commença a se mettre tout à fait dans les termes d’une ingénieuse humilité. Je ne pus souffrir qu’elle s’abaissât de cette sorte, et la relevai jusques aux astres du firmament. Ma conclusion fut celle que l’on prend d’ordinaire, de dire que tant de parfaites qualités qu’elle possédoit faisoient que je n’avois rien de si cher que l’honneur de me pouvoir nommer sont esclave.

Ce fut bien alors qu’elle me fit paroître combien elle étoit fine à ce jeu-là ; car, voyant qu’elle n’avoit pas affaire à un novice, elle déploya tant ce qu’elle avoit de subtil et d’artificieux : je vous assure, à ma honte, que je vis quasi l’heure que j’étois déferré.

Cela fit que je l’aimai encore davantage, et ces gentillesses non vulgaires, dont elle usa envers moi, furent comme qui jetteroit de l’huile dedans un feu. Ses noces, qui se firent bientôt après, ne me causèrent aucune fâcherie ; car je me doutois bien que je ne me devois pas affliger de ce que ce vieillard coucheroit avec elle auparavant moi, et qu’aussi bien n’auroit-il pas son pucelage, que je croyois qu’elle n’avoit plus il y avoit longtemps. Au reste, l’espérance m’étoit comme un baume salutaire dont j’adoucissois la douleur de toutes mes plaies. Il me sembloit qu’il étoit infaillible que Laurette, belle